La Règle d’Or…

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 Photo DR : www.thedisplacedafrican.com

Petite méditation sur la règle d’Or, ses précédents et ses développements…

(Les nombres colorés entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article)

On connaît bien la fameuse Règle d’Or, répétée par nos catéchistes et par nos prédicateurs, puisée à la fin de l’un des plus remarquables – et redoutables – textes de Jésus, le Sermon sur la Montagne : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. C’est la Loi et les Prophètes ». (Matthieu 7,12) (1)

Voilà tout un programme ! Cependant, il s’agit également là d’un aboutissement, et on le sait moins. Aboutissement d’un processus qui part de ce premier aggiornamento du barbarisme que représentait la loi du Talion, le fameux oeil pour oeil, dent pour dent.

Evolution, la loi du Talion ? Je devine votre étonnement premier ! Oui, évolution certaine, remarquable même, par rapport au comportement barbare consistant à massacrer le plus possible, ou en tout cas davantage chez l’ennemi que ce que lui-même avait massacré chez nous. Dans la loi du Talion, il y a une grande nouveauté : non, tu ne prendras pas un cheveu de plus que ce que ton ennemi t’a pris. Ni un de moins, je vous l’accorde.

On retrouve cette première et primitive sagesse dans la Bible à plusieurs reprises, mais d’abord dans la bouche de Dieu lui-même, juste après le déluge : « Qui verse le sang de l’homme, par l’homme verra son sang versé; car à l’image de Dieu, Dieu a fait l’homme. » (Genèse 9,6)

On la retrouve, en fait, outre la Genèse, dans chacun des quatre autres livres de la Torah, la Loi :

Dans l’Exode : « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » (Exode 21,23-24)

Dans le Lévitique : « Si un homme frappe à mort un être humain quel qu’il soit, il sera mis à mort. S’il frappe à mort un animal, il le remplacera – vie pour vie. Si un homme provoque une infirmité chez un compatriote, on lui fera ce qu’il a fait : fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent; on provoquera chez lui la même infirmité qu’il a provoquée chez l’autre. » (Lévitique 24,17-20)

La première partie de cet extrait pourrait nous amener à nous demander si la loi est la même pour les compatriotes que pour les étrangers. Aussi le Lévitique précise, deux versets plus loin : « Vous aurez une seule législation : la même pour l’émigré et pour l’indigène, car c’est moi, le SEIGNEUR, qui suis votre Dieu. » (Lévitique 24,22) Voilà, entre parenthèses, une autre évolution significative par rapport aux pratiques de certains barbares, qu’ils soient de l’époque ou d’aujourd’hui…

Dans le livre des Nombres, le chapitre 35 voit se répéter quatre fois l’expression « c’est un meurtrier, il sera mis à mort » (Nombres 35,16.17.18.21) avec cependant une distinction très importante qui est le principal sujet du chapitre 35 : si l’homicide est involontaire, alors on n’appelle pas le coupable un meurtrier et il n’est pas mis à mort, et il existe pour lui des villes de refuge. Autre importante distinction qui commence en ce même chapitre, au verset 30 : « Dans tous les cas de meurtre, on ne tuera le meurtrier que sur la déposition de plusieurs témoins. On ne condamnera pas quelqu’un à mort sur la déposition d’un seul témoin ».

Ces distinctions valent seulement en cas de meurtre. Et si l’on venait à s’attendrir en contemplant ces quelques évolutions de la loi du Talion, le dernier livre de la Torah vient remettre les pendules à l’heure et réaffirmer le Talion originel : « Tu ne t’attendriras pas : vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » (Deutéronome 19,21)

Voici donc que l’ensemble du Pentateuque, l’ensemble de ce que les Juifs appellent La Loi, parle de cette règle implacable qu’est la loi du Talion. Or Jésus, nous l’avons vu au début de cet article, lorsqu’il transcende cette loi par une nouvelle loi d’amour, dit qu’il s’agit là de la loi et des prophètes. D’où la question : les prophètes parlent-ils eux aussi de la loi du Talion ?

L’un des douze petits prophètes, Abdias, en parle au verset 15 du seul chapitre de son livre : « Oui, proche est le jour du Seigneur, jour menaçant toutes les nations. Comme tu as fait, on te fait; tes actes te retombent sur la tête » (Abdias 15). On le sait, la langue hébraïque ne raisonne pas tout à fait comme nous en terme de temps de verbes, et ce qui est traduisible par un présent peut aussi l’être par un futur. Cela replace notre passage clairement dans une vision de jugement dernier : comme tu as fait, on te FERA, au moment du jour du Seigneur, tes actes te RETOMBERONT sur ta tête.

Tout cela demeure peu encourageant…

Arrive alors la troisième partie de l’Ancien Testament, les Ecrits, et avec eux ce livre merveilleux – deutérocanonique certes – qu’est l’histoire de Tobit. Le chapitre 4 contient ce que j’appelle la règle d’argent, par opposition à la règle d’or : « Ce que tu n’aimes pas, ne le fais à personne. » (Tobit 4,15) C’est la version négative de la règle d’or. D’un côté, elle représente déjà une fantastique évolution par rapport à la loi du Talion. Mais d’un autre côté, elle reste un peu facile. Chacun chez soi, ne faisant surtout rien pour l’autre, et tout va bien.

Prenons donc cet autre écrit de sagesse, canonique lui, qu’est le livre des Proverbes. Nous y trouvons de quoi faire encore un pas de plus entre la règle d’argent et la règle d’or : « Ne refuse pas de faire du bien à qui en a besoin quand tu peux le faire. » (Proverbes 3,27) Voilà un grand pas en avant : non, le respect de la loi ne consiste pas en une simple négation de l’acte pour ne pas risquer de faire à l’autre ce que l’on ne voudrait pas qu’il nous fasse. La sagesse va plus loin et nous demande de ne pas refuser de faire le bien quand nous pouvons le faire et quand l’autre en a besoin, ce qui demeure une restriction et peut amener encore une objection facile, du type « je n’ai rien fait parce que j’ai cru qu’on n’avait pas besoin de moi ». On connaît bien cette objection – hélas – dans nos paroisses.

Cette évolution de l’homme prend un millier de pages… là où Dieu la parcourt en moins d’un livre – le premier. En effet, Dieu part lui aussi d’une barbarie sans équivoque lorsqu’il condamne non seulement les fautifs Adam et Eve mais également toute leur descendance pour leur unique faute personnelle. Il évolue (2), un chapitre plus loin, en dépassant déjà la loi du Talion, attendri par la négociation que lui propose Caïn. Dans un premier temps il condamne le meurtrier fratricide – mais seulement à une peine plus légère que la mort : « Tu es maintenant maudit du sol qui a ouvert la bouche pour recueillir de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa force. Tu seras errant et vagabond sur la terre. » (Genèse 4,11-12). Mais dans un second temps, après ce qui n’est même pas un repentir de la part de Caïn, mais simplement une plainte contre la peine que le condamné juge trop lourde, Dieu se fait vengeur de qui attenterait à la vie du meurtrier : « Eh bien ! Si l’on tue Caïn, il sera vengé sept fois. » (Genèse 4,15).

Un peu plus loin, Dieu se montrera attendri par de grands négociateurs, et modifiera ses projets, évoluant à nouveau et modifiant son intention première.

Abraham est le premier et le plus célèbre de ces négociateurs, dans le jugement contre les villes de Sodome et Gomorrhe, aux chapitres 18 et 19 de la Genèse. Ainsi, Dieu se laisse attendrir (dans un premier temps), lui qui voulait faire périr tous les habitants des deux cités pécheresses. Non, s’il se trouve dix justes dans cet endroit, il ne détruira rien. Cela revient à sauver tous les criminels d’une cité si l’on trouve quelques justes avec eux. Nos conceptions mêmes modernes sont enfoncées ! Mais on connaît la suite. Dieu détruira Sodome et Gomorrhe, ne sauvant la vie qu’à Loth, seul juste qu’il ait trouvé. On en revient à l’arche de Noé, mais la loi du Talion qu’appliquent les hommes de l’époque est déjà très largement dépassée par la loi de miséricorde qu’applique Dieu.

La loi de l’Ancienne Alliance évolue encore, et il faudrait une étude approfondie de bon nombre des 613 commandements pour parcourir toutes les règles, exceptions à la règle et exceptions à l’exception – qui ne sont pas pour autant des retours à la règle (3) !

Mais Dieu envoie son Fils, et tout change. Jésus rappelle pourtant la loi du Talion à l’un de ses disciples qui tire le glaive pour le défendre (seul Jean indique qu’il s’agirait de Simon-Pierre) : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée » (Matthieu 26,52). Au passage, il est intéressant de remarquer que, si les quatre Evangélistes disent qu’un disciple a tiré son épée, les quatre réactions de Jésus sont fort différentes. Seul Matthieu – le Juif – met la loi du Talion dans la bouche de Jésus. Luc – le médecin – se contente de dire que Jésus guérit l’oreille blessée (Luc 22,51). Marc – pourtant enclin à charger les disciples – ne fait réagir Jésus que contre les soldats venus l’arrêter avec des épées, mais pas contre le disciple qui a lui aussi une épée (Marc 14,47-48). Et Jean – le spirituel – fait dire à Jésus qu’il boira jusqu’à la lie la coupe que son Père lui a donnée, sans avoir besoin de défenseurs (Jean 18,11).

Jésus, on le sait, va considérablement révolutionner cette loi de la violence appelant la violence. Dès le début du sermon sur la montagne, dans l’Evangile de Matthieu, il explique à quel point l’ancienne loi doit être dépassée. Ce sont les fameux « on vous a dit… eh bien moi je vous dis » que l’on trouve six fois jusqu’à la fin du chapitre 5, juste après l’avertissement « si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (Matthieu 5,20ss). Ces six révolutions concernent respectivement le meurtre (versets 21-26), l’adultère (versets 27-30), la répudiation (versets 31-32), le parjure (versets 33-37), le talion (4) (versets 38-42) et la haine des ennemis qui doit se transformer en amour (versets 43-47).

Ce passage se termine sur l’injonction célèbre : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait« , une traduction un peu violente que le verbe grec d’origine – teleion – et la conjonction qui le suit inviteraient plutôt à formuler ainsi : « Vous donc, vous TENDREZ A LA PERFECTION PARCE QUE votre Père céleste est parfait« .

A la fin du sermon sur la montagne, nous l’avons dit au début de cet article, nous trouvons la règle d’or qui résume tout cela. Luc, chez qui ce discours de Jésus – dans la plaine – est plus restreint, mentionne aussi la règle d’or, au milieu du discours (5) : « Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux » (Luc 6,31).

Il est souvent dit que cette règle se retrouve dans la plupart des grands courants religieux et philosophiques. Si je reconnais la beauté universelle de cette affirmation qui devrait nous interroger, je ne suis qu’à moitié d’accord avec elle car c’est bien la règle d’argent et non la règle d’or que l’on retrouve partout. Seul l’hindouisme – et à l’intérieur de celui-ci particulièrement le courant jaïn, formulent en positif ce que les autres se contentent de dire en négatif : « L’homme devrait traiter toutes les créatures de ce monde comme il aimerait être traité lui-même » (Sutrakritanga I.11.33 vers 500 avant JC). On reconnaît le pas de plus que font les hindouistes en protégeant ainsi non seulement l’homme mais toute créature vivante.

La religion musulmane – non dans le Coran, certes, mais dans les dits de Mahomet (Hadiths) – formule cela différemment, mais en y ajoutant un élément de taille : ne pas observer cette règle, c’est ne pas être véritablement croyant : « Aucun d’entre vous n’est véritablement croyant tant qu’il n’aimera pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même » (Hadiths de Nawawi 13).

Dans la suite du Nouveau Testament, plusieurs écrits reprennent cette règle d’une manière ou d’une autre, souvent en la formulant selon le commandement nouveau aime ton prochain comme toi-même (ce qui revient au même avec d’autres mots) ou aimez-vous les uns les autres comme le Christ vous a aimés (ce qui fait un pas de plus et s’assimile plutôt au fait de tendre l’autre joue). Ainsi le chapitre 13 de l’épître aux Romains est un célèbre et véritable hymne à l’amour du prochain.

Citons encore la formulation du mystérieux Jacques, auteur de la lettre très moraliste du même nom, qui va encore un cran plus loin : « Qui donc sait faire le bien et ne le fait pas se charge d’un péché » (Jacques 4,17).

Quel que soit ce que l’on dit, écrit, débat, au sujet de cette fameuse règle, reste le propos d’un athée trouvé sur internet : « le monde irait bien mieux si l’on appliquait davantage ce principe…« 

…et la boutade de Bernard Shaw, que je ne résiste pas à vous livrer comme une pirouette finale : « Ne faites surtout pas aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fissent : il se peut que leurs goûts ne soient pas les mêmes que les vôtres !« 

Vincent Lafargue

 Publié dans Ecritures 2011-1

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Notes :

(1) Traduction TOB, comme tous les autres versets bibliques qui suivront dans cet article.

(2) Je souligne, n’en déplaise à certains dogmaticiens tenant mordicus un Dieu immuable et non changeant.

(3) J’emprunte, avec reconnaissance, cette formule à frère Philippe Lefebvre, op.

(4) Je souligne.

(5) Je souligne encore, c’est rarement un hasard dans la Bible…

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2 Responses

  1. Caroline Cohen Reuver

    Et voici encore un conte talmudique: Un païen se présenta un jour devant Chammaï et lui demanda: « Je veux bien me convertir au judaïsme, mais à la condition que tu puisses m’enseigner toute la Torah pendant le temps où je pourrai me tenir sur un seul pied ». Chammaï le renvoya ( ….. ) Il s’adressa alors ensuite à Hillel avec le même souhait et celui-ci le convertit en lui disant: « Ne fais pas à ton prochain ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasse. C’est toute la Torah. Le reste n’est que commentaire. Va et apprends-le. »
    Ds: »Contes talmudiques » traduits de l’hébreu par Gérard Haddad. Hachette Littératures, 1999, Paris. pp. 106-107.

    • ab20100

      Grand MERCI à vous pour ce conte ! Cela manquait à mon article !

      Bien à Vous,

      Ab20100

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