Lino et l’homme de l’aéroport

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Photos libres de droits (Wikipedia) : l’aéroport de Biarritz et Lino Ventura

Homélie pour le 13e dimanche ordinaire, A

2 Rois 4,8-11.14-16a / Psaume 88(89) / Romains 6,3-4.8-11 / Matthieu 10,37-42

 

> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :

 

Chers Amis,

La scène que je vais vous raconter – et qui est authentique, je l’ai vécue – se passe dans un aéroport du sud de la France, il y a quelques années. Je m’apprêtais à prendre l’avion pour rejoindre la Suisse et je venais de passer laborieusement les contrôles de sécurité – vous savez c’est quasiment un chemin de croix aujourd’hui de passer les contrôles de sécurité pour aller prendre l’avion ! Il faut enlever ses chaussures, sa ceinture, ses clés, ses stylos… on ne nous demande pas encore de passer en caleçon mais ça va venir, hein ! ça va venir !

Alors que j’étais en train de me rhabiller, je vois qu’un homme m’observe. Et comme j’enfilais pour terminer la petite croix de Taizé qui ne me quitte jamais, il vient vers moi et m’apostrophe :

« Ha ! Voilà bien les religieux d’aujourd’hui ! me dit-il. Si vous aviez porté une soutane, mon Père, vous n’auriez pas eu toutes ces difficultés. On vous aurait laissé passer directement ! »

Sur le moment, je vous avoue que j’ai été choqué par ce que me disait cet homme.

Car qu’est-ce que cela signifie ? Ainsi, si je m’étais habillé en Don Camillo, j’aurais été mieux traité, dans un aéroport, que vous ? Et Vous trouvez ça juste ?

Je ne suis pas certain que le Christ aurait demandé à être mieux traité que vous… Au contraire !

Nous, les prêtres, nous ne sommes pas au-dessus de vous ! Nous sommes vos serviteurs, ce n’est pas tout à fait la même chose ! On serait plutôt en-dessous, vu comme cela. Nous sommes au service des autres, nous devons donc passer après les autres, en aucun cas avant, en aucun cas bénéficier de je ne sais quel privilège ! Cela n’aurait strictement rien d’évangélique !

Cet homme ne me semblait pas non plus avoir compris grand-chose au fait d’être prêtre, serviteur de tous. C’est ça, un prêtre : c’est le serviteur de tous, ce n’est pas un prince de l’Eglise à qui l’on devrait des égards au nom de je ne sais quel titre.

Je ne suis pas votre supérieur, Chers Amis. C’est l’inverse. Quand on devient prêtre, on descend une marche au service des gens vers qui l’on est envoyé.

Je ne connais rien de supérieur, personnellement, je ne sais pas vous mais je ne connais rien de supérieur à la dignité intrinsèque de chaque être humain, quel que soit son métier, quel que soit son habillement, quelle que soit la couleur de sa peau – et Dieu sait s’il faut le rappeler en ce moment – quelle que soit son identité, quel que soit son sexe, quelle que soit sa vocation.

Il n’y a pas de gens supérieurs et d’autres inférieurs, nous sommes Chacune, Chacun, des êtres humains. Eh oui !

Un acteur que j’aimais beaucoup, Lino Ventura disait qu’il n’a jamais appelé un garçon de café « Garçon », dans sa vie. Il a toujours dit « Monsieur ».

Mais, ajoutait-il avec ce sourire qui lui était propre, « je n’ai jamais appelé un ministre ‘Monsieur le ministre’ non plus, j’ai toujours dit ‘Monsieur’, pareil »…

C’est d’une grande sagesse, je trouve. C’est d’une très grande sagesse.

Il faut laisser les titres à ceux qui en ont besoin. Quand les gens me demandent « Comment est-ce qu’il faut vous appeler ? Est-ce qu’il faut dire ‘Mon Père’, ‘Monsieur l’abbé’… ? » Je leur dis toujours : « Vincent. C’est mon prénom. C’est celui que Dieu m’a donné à travers mes parents… »

Laissons les titres aux gens qui en ont besoin pour vivre…

C’est notre dignité d’êtres humains qui est à relever. Alors toutes les autres différences s’effacent, couleur de peau, race, origine, sexualité, apparence, âge. Nous sommes tous des êtres humains, nous habitons tous cette petite planète, notre maison commune comme dit le pape François.

L’homme de l’aéroport ce jour-là, en suggérant que j’aurais été mieux accueilli si j’avais été habillé en soutane, ne me semblait pas non plus avoir compris grand-chose à la spiritualité de l’accueil inconditionnel de chacun. Chacun doit être accueilli de manière inconditionnelle, Chers Amis.

Alors c’est intéressant parce que les textes que nous avons entendus ce soir nous parlaient précisément d’accueillir.

Et l’homme de l’aéroport me semblait en être resté au texte de l’Ancien Testament. Ça fait partie de notre livre sacré, l’Ancien Testament. Mais il ne faut pas en rester là, il y a eu Jésus ensuite !

Que disait notre texte tiré de l’Ancien Testament ? Vous l’avez entendue, cette histoire tirée du Livre des Rois.

Une femme riche accueille un homme sous son toit.

Elle s’aperçoit que ce n’est pas n’importe quel voyageur puisqu’il s’agit d’un homme de Dieu, un prophète.

Et du coup, elle demande à son mari de traiter au mieux cet homme. Petite chambre spécialement confectionnée sur la terrasse, au frais, réservée pour lui à l’année pour qu’il se sente bien accueilli selon son rang.

Aurait-elle fait la même chose avec un mendiant ? Pas sûr, hein ?

L’habit semble faire le moine, à l’époque.

Elle sera pourtant récompensée par Dieu. Et c’est bien normal, parce qu’elle a accueilli.

Elle fait partie de ces personnages de l’Ancien Testament qui accueillent, et Dieu sait qu’il y en a de magnifiques. Abraham avec les trois visiteurs mystérieux, par exemple.

C’est très bien, l’Ancien Testament. Mais comme je vous le disais, il ne faut pas oublier d’aller quelques pages plus loin !

Pour nous, Chrétiens, on ne peut lire l’Ancien Testament qu’en considérant que le Nouveau y est caché, que le Nouveau l’éclaire ensuite, d’une lumière particulière. On ne peut lire l’Ancien Testament qu’en le reliant à l’histoire du Christ, qu’en l’interprétant avec des lunettes chrétiennes qui changent tout, qui donnent une nouvelle lumière sur ces pages.

C’est ce à quoi nous invitait Paul, dans la deuxième lecture, il nous invitait à porter un regard nouveau, à mener une vie nouvelle, puisque le Christ est venu tout changer.

Et en termes d’accueil l’Evangile, vous l’avez entendu, précisait les choses. Jésus disait : « celui qui vous accueille, m’accueille. Et celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé. Le Père. ».

Et inversement bien sûr : vous accueillez quelqu’un ? Eh bien c’est le Christ que vous accueillez, qui que soit cette personne, quelle que soit son apparence, son rang, sa fonction, c’est le Christ que vous accueillez.

Pas de différences.

Nous sommes invités à ne pas faire de différences, Chers Amis, et ce n’est pas facile ! A fortiori pas de différences non plus basées sur les apparences ! Et ce n’est pas facile !

Parce que Dieu, lui, ne fait pas de différences. Il vous accueille chacune, chacun d’entre vous, les plus petits, les plus jeunes, comme ceux qui sont jeunes depuis plus longtemps que les autres. Il nous accueille tous de la même manière. « Qui vous accueille m’accueille », disait Jésus. C’est Dieu que nous accueillons à travers chaque visage que nous croisons dans notre journée.

Voilà, notamment, je crois chers Amis, ce à quoi nous invitent les textes de ce soir.

Et c’est intéressant au seuil de l’été. C’est intéressant… souvenons-nous, pendant nos semaines peut-être de vacances à l’étranger ou au contraire pendant les semaines où nous recevrons des gens chez nous, souvenons-nous que Dieu habite sur chacun des visages que nous allons accueillir ou découvrir.

Dieu habite sur chacun des visages que nous croisons.

Je repensais à tout cela en terminant de m’habiller, ce jour-là à l’aéroport. Et tandis que je bouclais ma ceinture, face à cet homme qui venait de m’interpeller et qui m’avait un peu heurté, je cherchais comment lui répondre. Je brûlais de lui expliquer tout cela en salle d’embarquement puisque visiblement nous allions prendre le même avion.

Mais alors que je guettais le moment propice pour lui expliquer un peu ma manière de voir l’Evangile, je me suis soudain rappelé que – forcément – derrière son visage aussi il y avait Dieu.

Certainement qu’à travers cet homme, Dieu aussi a voulu me rejoindre d’une façon ou d’une autre.

Alors j’ai souri, heureux d’avoir croisé Dieu sur mon chemin, et très content de le savoir dans le même avion que moi !

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Roche (VD), samedi 27 juin 2020, 18.00 (version enregistrée)

et dans une version sensiblement différente jadis :

La Pelouse s/Bex, dim. 2 juillet 2017, 9.00

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