Mayumi, le thé, le silence, puits de nos vies

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Homélie pour le 3e dimanche du Carême A

Exode 17,3-7  /  Psaume 94  /  Romains 5,1-2.5-8 / Jean 4, 5-42 

 

NB : En raison du CoVid19, l’abbé Vincent n’a pas célébré de messe en communauté ce 3e dimanche de Carême. Voici néanmoins une homélie prononcée il y a quelques années sur les mêmes textes :

 

> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :

 

Chers Amis,

 

A la fin de mon adolescence j’ai eu la chance d’aller apprendre un peu l’anglais à Cambridge, en me payant ces cours intensifs par quelques mois de travail.

J’ai ramené de ce séjour anglais une passion pour la calligraphie et une autre pour le thé. Oui, je suis un curé à thé, que voulez-vous… en deux mots, heureusement.

Et au sujet du thé, j’ai appris une très jolie coutume japonaise, en ce temps-là. Parce que parmi mes amis, dans le collège international où je me trouvais, il y avait une Japonaise, Mayumi. Et Mayumi nous a expliqué que, dans ses traditions familiales à elle, lorsque l’on se retrouvait, même après quelques semaines, on ne parlait jamais avant d’avoir bu la première gorgée de thé.

Ainsi lorsque Mayumi allait trouver son grand-père dans un village comme le nôtre dans la montagne, la première action était d’abord de se saluer en silence, en s’inclinant, puis d’aller prier Bouddha au temple, toujours en silence, puis de préparer le thé par la fameuse cérémonie, puis de s’asseoir l’un en face de l’autre, puis de déguster la première gorgée, et là seulement on pouvait commencer à parler.

C’était fait pour éviter de se dire les banalités qu’on se dit parfois quand on sait pas trop quoi se dire mais qu’on se revoit…

Vous savez les choses du style : « Adieu, comment ? ça va, pis toi ? Fais beau aujourd’hui, hein ? On a de la chance, ce soleil ! Et puis ces élections, qu’est-ce que ça va donner ? »

…Quantité de choses qui ne sont pas essentielles, avouons-le…

Lorsqu’on doit commencer par se taire, on réfléchit à ce que l’on va dire ensuite.

Le thé – auquel je suis toujours fidèle – produit souvent sur moi cet effet-là.

J’aime bien proposer un thé ou un café à toute personne qui passe la porte de la cure, et j’aime bien prendre cette première gorgée de thé ou de café avant de commencer à parler de l’essentiel, avant d’écouter aussi profondément la personne qui est devant moi.

Comme si cette première gorgée nous amenait quelque chose de beaucoup plus essentiel que du thé ou du café. L’écoute. L’écoute de l’autre, mais aussi l’écoute de Dieu, d’abord, dans le silence qui précède.

Alors nous avons entendu plusieurs lectures ce matin, et elles vont toutes dans ce sens-là.

La femme de Samarie qui rencontre Jésus au puits de Jacob a effectivement soif. Pas de thé ou de café, remarquez, elle a soif d’eau, elle.

Mais elle n’a pas soif de l’eau qui se trouve dans le puits, elle ne le sait pas, mais elle a soif de spiritualité, d’écoute, d’échange. Et c’est au contact de Jésus qu’elle va le comprendre.

Elle a soif d’être reconnue pour ce qu’elle est vraiment : non pas l’« étrangère », ça c’est l’étiquette que lui ont collée les gens du village.

Non pas « la femme qui a eu cinq maris », ça c’est l’autre étiquette que lui ont collée les gens du village.

Non, elle a soif d’être reconnue comme telle, comme une femme qui n’a pas eu une vie facile et qui a besoin d’être écoutée, d’être reconnue, d’avoir à boire.

Combien de fois succombons-nous, chers Amis – enfin je ne sais pas vous, mais moi en tout cas – à la tentation de coller des étiquettes aux gens. Notamment parce que, comme la femme de cet Evangile, cette personne a eu plusieurs conjoints, s’est remariée, est étrangère au village, que sais-je encore ?

Dans le désert, le peuple des Hébreux a eu soif. Vous me direz, dans le désert, c’est assez logique d’avoir soif. Mais il a succombé lui aussi à une tentation : celle de crier vers Dieu, de l’accuser, de lui demander des comptes, de croire qu’il les avait emmenés dans ce désert pour les faire mourir.

En somme, de croire à ce Dieu sadique auquel nos ancêtres croyaient. Un Dieu qui voudrait le mal. C’est une tentation de croire à un Dieu qui juge et qui punit ainsi.

Or le texte du Notre Père que nous redirons tout à l’heure parle de tentation. Cette fameuse phrase « ne nous soumets pas » ou « ne nous laisse pas entrer en tentation »

Et c’est intéressant parce que si on va regarder le texte d’un peu plus près, si l’on a quelques notions de la langue de Jésus, l’hébreu, on remarque que le texte – tout comme le texte de notre psaume d’ailleurs – demande en fait à Dieu : « Ne nous ramène pas à Massa… »

C’est-à-dire ce lieu qu’on avait dans la première lecture et qui signifie l’épreuve, la tentation.

C’est cela, le vrai sens de ne pas nous laisser entrer en tentation : ne pas nous ramener à Massa, ne pas nous ramener au lieu où on a défié le Seigneur, où on lui a crié dessus. Ne pas nous ramener dans les lieux de nos vies où nous avons douté de l’Amour de Dieu.

Or l’eau que Dieu fait surgir par l’action de Moïse, dans ce désert, est certainement une eau bienfaisante, une eau qui désaltère… Mais c’est aussi et avant tout l’eau spirituelle, le signe que les Hébreux attendaient, une présence bienfaisante de Dieu.

Et la grâce de cette eau, c’est aussi la grâce de la Foi qui nous est donnée dans nos vies à de nombreux moments et notamment dans des moments d’épreuve. C’est cette grâce dont parlait Paul dans la deuxième lecture, cette grâce qui va avec l’espérance qui nous fait vivre.

Au cours de ce Carême, plusieurs d’entre nous recevront des signes de la part de Dieu, certains les ont peut-être déjà reçus, c’est le signe d’un Carême plutôt bien vécu, et puis d’autres espèrent encore ces signes et seraient peut-être tentés de douter…

Alors ne soyons pas comme les Hébreux dans le désert, Chers Amis, ne mettons pas Dieu au défi, ne croyons pas qu’il nous envoie du mal, ce n’est pas lui, le Mal… ne doutons pas de lui, ne revenons pas à Massa ou à Mériba.

Allons plutôt au puits de la Samaritaine, au puits de Jacob. Soyons comme cette femme qui a eu des problèmes, dans sa vie, qui n’est pas exactement dans les clous – qui d’entre nous est exactement dans les clous ?? – soyons comme elle qui a soif sans le savoir, et qui espère un signe de Dieu.

Ne parlons pas tout de suite non plus, quand on rencontre quelqu’un… Même au café tout à l’heure. Prenons le temps de trinquer, avant de commencer à parler. Ecoutons la personne que Dieu nous a envoyée dans notre journée, celle qu’il a placé ce jour-là devant nous, devant le puits de nos existences.

Et laissons-la, à son tour, abreuver largement notre cœur par l’eau de la grâce de Dieu.

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Mâche, 18 mars 2017, 17.00

Evolène, 19 mars 2017, 10.00 (version enregistrée)

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