L’aveugle et le parking

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Homélie pour le 30e dimanche TO, année B

Jérémie 31,7-9 / Psaume 125  /  Hébreux 5,1-6 / Marc 10,46b-52

 

NB : l’abbé Vincent n’a pas prêché publiquement ce week-end en 2021. Voici une homélie sur les mêmes textes prononcée il y a trois ans. 
> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :

 

Chers Amis,

 

La scène que je vais vous raconter est authentique. Elle se passe dans le parking souterrain d’un très grand centre commercial, à Genève, un samedi après-midi, il y a quelques années de cela.  J’étais au volant de ma voiture et j’y cherchais désespérément une place de parking.

 

Vous savez comment c’est : le samedi après-midi, tout le monde est dans les magasins, on est un tout petit peu nerveux, tous, hein, on a tous des trucs à faire, et on cherche… on cherche des places. Le parking est plein, tout le monde s’énerve, surtout en ville !

 

Tout à coup je vois la place libre. La seule ! Alors j’amorce mon virage pour entrer dans la place et là je vois une voiture qui était 20 mètres devant moi freiner et se mettre à reculer à toute vitesse.

 

Je me dis : « Mais il est fou ! Il va me rentrer dedans ! » Non, il s’arrête, il plante les freins, il sort de sa voiture, furax, et il me dit : [accent genevois] « Vous êtes aveugle, ou bien ? » (il aurait pu ajouter « debleu-debleu ! »)

 

Devant mon air ahuri, comme je ne répondais rien, il me dit : « Vous êtes aveugle ou bien ? Vous avez pas vu que c’était MA place ?? »

 

J’étais tellement surpris que j’ai éclaté de rire. Je lui ai dit : « Attendez Monsieur, j’arrive à la hauteur de cette place, je m’y engage, et vous vous faites 20 mètres en marche arrière au même moment et vous me dites que c’est VOTRE place ? Vous n’êtes pas sérieux ? Et puis, en plus, vous me dites que je suis aveugle ? »

 

J’étais quand même un peu étonné parce que moi, j’avais VU la place… Tandis que lui, il était passé devant sans la voir et puis il revenait en arrière… Qui était l’aveugle de nous deux ??

 

C’est plutôt sa colère qui l’aveuglait. Comme ça nous arrive – ça peut nous arriver – à tous. Il était furieux, d’abord contre lui-même, de n’avoir pas vu cette place, il était furieux contre son propre aveuglement…

 

Et en relisant l’Evangile sur l’aveugle qui rencontre Jésus, je repense toujours à cette histoire de parking… Parce qu’il y a là, dans le texte, un aveugle, un vrai. Et dans le contexte de l’époque il est mis de côté par les autres, marginalisé, diabolisé même.

 

Ça nous paraît étrange aujourd’hui, mais à l’époque on croyait que si quelqu’un était aveugle, c’était de la faute de ses erreurs, de ses péchés. Donc, on l’évitait, on le mettait de côté. C’est terriblement injuste évidemment, mais c’est ainsi qu’on voyait les choses – enfin quand je dis « qu’on VOYAIT »… on s’entend ! – c’est ainsi qu’on pensait à l’époque.

 

Il est donc rejeté au bord du chemin, cet aveugle. Et ce n’est pas d’abord sa cécité qui le place en marge. C’est d’abord l’aveuglement des autres ! Ce sont eux qui sont aveuglés par des croyances obscurantistes et c’est à cause de cet aveuglement qu’il est laissé pour compte, sur le bord du chemin. Donc l’aveugle, dès le début de cette histoire, n’est pas forcément celui que l’on croit.

 

Mais ça continue, vous l’avez entendu… Alors que les gens suivent Jésus sans trop savoir qui il est, un peu aveuglément, l’aveugle, lui, crie son nom et sa filiation : « Jésus, Fils de David ! »

 

Alors que les disciples n’ont pas encore vraiment compris qui est Jésus, l’aveugle, lui, le sait.

 

Il voit clair, sur ce coup-là.

 

Et juste après, Jésus demande qu’on lui amène l’aveugle, mais l’aveugle n’a pas besoin qu’on l’amène, vous l’avez entendu ! Il jette son manteau, il bondit, et il court vers Jésus. Vous avez déjà vu un aveugle courir, vous ? Un signe de plus que l’aveugle n’est pas celui qu’on croit… Il est réellement aveugle, mais il est tellement confiant qu’il est déjà capable de courir en avant.

 

Il JETTE son manteau. Ça aussi, c’est un geste très intéressant, au passage. Parce que… il est probablement tout nu, en-dessous ! C’est comme ça, à l’époque, on a une tunique… et en-dessous, il n’y a rien. Et donc s’il jette son vêtement, il n’a pas peur du regard des autres, encore moins du regard de Jésus… Encore une fois l’aveugle n’est pas celui que l’on croit, dans cette histoire…

 

Et puis il demande à Jésus : « Fais que je voie ! » Il sait, de toute sa Foi, que Jésus peut le guérir. Et en ce sens il est sacrément clairvoyant, notre aveugle.

 

Combien de fois, nous – enfin je ne sais pas vous, mais… – il me semble que ça nous arrive dans notre prière de demander sans trop oser demander… En disant « Bon Seigneur, je te demande ça, mais… en même temps j’ose pas trop demander pour moi, je devrais plutôt d’abord demander pour d’autres… » On a souvent peur de demander l’impossible dans notre prière, on se dit : « On ne va pas le déranger avec ça… et puis de toutes façons c’est impossible, alors à quoi bon ? »

 

L’aveugle, lui, demande l’impossible – « Fais que je voie ! » – et il y croit.

 

Et que se passe-t-il alors ? Eh bien là c’est toujours pareil avec les histoires de miracles, dans les Evangiles : on aimerait bien avoir le film, et on l’a pas. On aimerait bien savoir si Jésus a touché la personne, s’il a utilisé un objet, une baguette magique, une formule, est-ce qu’il a dit quelque chose ?… On n’en sait rien.

 

Et comme pour nous montrer que ce n’est pas çà l’important, que l’essentiel est invisible pour les yeux, comme disait le Petit Prince, la Bible ne nous dit rien.

 

Mais elle nous dit la phrase qui suit le miracle. Que dit Jésus après ? Il dit : « Va, ta foi t’a sauvé ! » Ce n’est pas lui, Jésus, qui a rendu la vue à l’aveugle, c’est la foi de l’aveugle qui l’a sauvé.

 

C’est la FOI qui rend la vue, ce n’est pas un geste magique à la Harry Potter ou un gadget à la James Bond. C’est la foi de l’aveugle, la foi de celui qui demande qui sauve.

 

On devrait y penser plus souvent quand on hésite à demander quelque chose de fort dans notre prière. Il faut oser ! Et il faut oser demander avec foi ! C’est la foi qui fait des miracles.

 

Et si l’aveugle ose demander, c’est justement parce qu’il n’est pas aveuglé par la peur, par le doute, par la colère, par les préjugés…

 

L’aveugle de notre histoire, chers Amis, c’est peut-être le plus clairvoyant de tous, ce jour-là, au bord du chemin. Et c’est alors qu’il se met à suivre Jésus.

 

…« Vous êtes aveugle, ou bien ? » me demandait ce conducteur genevois, dans ce parking. Mais c’est sa colère qui l’aveuglait lui. C’était lui l’aveugle. Et moi j’ai ri à ce moment-là.

 

Vous avez probablement envie de savoir ce qui s’est passé ensuite… ? Eh bien figurez-vous qu’il s’est mis à rire lui aussi ! « Excusez-moi, m’a-t-il dit… Je suis ridicule. Vous étiez là avant moi. »

 

Et comme ça faisait déjà une bonne minute qu’on était tous les deux dehors de nos voitures, en bouchant le passage, il y a eu des coups de klaxons derrière nous : les autres automobilistes qui s’énervaient. Dont un, juste derrière, qui a baissé sa vitre et qui nous a dit : « Mais vous ne voyez pas qu’il y a une deuxième place, juste là-devant ! » Et devant notre air ahuri, il ajoute : « Vous êtes aveugles, ou bien ? »

 

On a ri, parce qu’on était tous les deux aveugles, ce jour-là. Et on est même allé boire un café ensemble, cet après-midi, alors qu’on ne se connaissait pas dix minutes avant.

 

…Chers Amis, combien de fois la colère nous aveugle-t-elle, dans notre vie ? Moi le premier, je suis plus souvent dans le cas du chauffeur qui s’énerve que dans le cas de celui qui rit, je vous assure ! Mais la foi, l’humour sauvent beaucoup de situations.

 

Il fallait de la foi et de l’humour à l’aveugle pour bondir, pour courir vers Jésus, tout nu. Il nous en faut tous les jours, de la foi et de l’humour, et pas seulement au volant de nos voitures, Dieu le sait bien.

 

Et la lettre aux Hébreux nous rappelait que le Grand-Prêtre a été l’un de nous, avec nos faiblesses, avec notre foi, avec notre humour aussi. Il est venu vers nos faiblesses, pour nous relever. Pour ramener les captifs que nous sommes, comme disait le psaume. Il sait bien qu’il y a parmi nous l’aveugle, le boiteux, comme le disait la première lecture. Qu’on a des défauts, tous.

 

Et c’est parce qu’il le sait, parce qu’il nous sait faibles, aveugles parfois, plus souvent qu’à notre tour, c’est parce qu’il le sait qu‘il est venu nous rendre la vue et nous permettre de prendre le chemin à sa suite.

 

En y repensant, je me disais que… c’est une sacrée bonne nouvelle au fond !

 

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Les Haudères, samedi 27 octobre 2018, 20.00 (version enregistrée)

Evolène, dimanche 28 octobre 2018, 10.30

Euseigne, dimanche 28 octobre 2018, 18.00

 

…et dans une version relativement proche, jadis :

Les Haudères, samedi 24 octobre 2015, 20.00

Evolène, dimanche 25 octobre 2015, 10.30

Euseigne, dimanche 25 octobre 2015, 18.00

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  1. Piguet B.

    La parabole du parking :
    Voilà un genre d’homelie qui me plaît. Elle est simple,accessible à tous, proche de la réalité et présentée clairement . Bien adaptée à l’évangile du jour, elle interpelle l’auditeur qui veut connaître la conclusion et qui reste donc attentif jusqu’au bout.
    Père vous avez su capter mon attention, c’est une performance ! Et je vous en remercie.

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