Escaliers anti-dolorisme

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Homélie pour le 23e dimanche TO, année C

Sagesse 9, 13-18 / Psaume 89 / Philémon 9b-10.12-17 / Luc 14, 25-33

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Chers Amis,

On pourrait tirer de l’évangile d’aujourd’hui une insupportable chose : le dolorisme. Une des pires inventions dont l’Eglise a fait malheureusement sa spécialité parmi les plus malsaines qu’elles ait trouvées depuis des siècles. Le dolorisme. Souffrir pour mériter le Royaume de Dieu, on souffre pour mériter son ciel… je l’ai encore entendu tout récemment. Si vous en êtes encore là, chers Amis, pardonnez-moi de vous le dire, vous avez 50 ans de retard. Il faut songer à évoluer, l’Eglise ne dit plus cela, Dieu merci !

Allez dire à quelqu’un qui est malade, en chaise roulante, amputé, qu’il souffre pour mériter son ciel ! Si vous ne vous prenez pas une baffe vous aurez beaucoup de chance et vous serez tombé sur une personne très charitable.

Allez dire à un ou une jeune qui vit son premier chagrin d’amour et qui a le coeur déchiré qu’il ou qu’elle souffre au nom du Royaume de Dieu, vous en ferez un jeune de plus qui ne mettra plus jamais les pieds à l’Eglise. Et je ne lui donnerai pas tort.

Jamais Dieu n’a voulu la souffrance. Jamais. Il est temps de nous mettre cela une fois pour toutes dans la tête.

La souffrance, ce n’est pas Dieu, c’est un autre, et nous savons bien quel est son nom. Dieu n’envoie pas la souffrance, il ne la veut pas. Jamais Dieu ne veut le mal en ce monde. Encore moins pour soi-disant mieux le rejoindre. C’est une affreuse bêtise.

Mais alors… que vient nous dire Jésus lorsqu’il a ces exigences incroyables qu’on a entendues il y a quelques instants, dans l’évangile de ce soir ? « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple ». Est-ce qu’il faut souffrir pour être son disciple ? Est-ce que c’est ça que cela veut dire ? Je ne crois pas, chers Amis.

Porter sa croix, ça a d’autres significations, aussi. C’est d’abord accepter ce qui nous arrive. Accepter que notre existence est faite de bons moments, de grandes joies, et aussi de moments douloureux, d’immenses chagrins. Tout cela c’est l’humain.

Et comme Dieu nous a fait à son image, cela nous dit quelque chose de Dieu. Que Dieu lui aussi endure à sa manière des joies et d’immenses chagrins. Notamment à chaque fois qu’il nous voit nous éloigner de lui, pour le chagrin. A chaque fois qu’il nous voit revenir à lui, notamment dans le sacrement du pardon, voilà ses joies.

Porter sa croix c’est accepter que notre chemin de vie, comme les sentiers de nos montagnes, ne sont pas plats. Il y a de très jolis moments, en sous-bois le long d’un bisse qui murmure, ou au fond d’un vallon baigné de soleil, et on se dit que le chemin est facile. Mais, un peu plus loin, il y a des raidillons, des pierriers, des passages délicats, des échelles.

Et surtout, surtout, des marches d’escalier.

Je ne sais pas pour vous, mais moi quand je tombe sur ces marches de bois qui parsèment certains de nos sentiers, dans nos forêts notamment, j’ai toujours envie d’envoyer un de mes pantalons à l’office de tourisme pour qu’ils mesurent les jambes et qu’ils nous fassent des marches d’escalier NORMALES si possible… pas des trucs d’un mètre cinquante de haut, où il faut les bâtons pour monter ! Un escalier, normalement, c’est standard.

Je me dis, des fois, que l’office du tourisme n’a vraiment pas la même manière de penser que nous, quand je tombe sur certaines marches. Exactement comme notre première lecture nous rappelait que Dieu n’a pas la même manière de fonctionner que nous. Nous ne pouvons pas tout comprendre, quand nous voyons les marches d’escalier de notre vie.

Seulement quand j’arrive en haut de ces marches, dans la forêt, comme encore tout dernièrement, je me retourne et je regarde l’escalier. Et puis j’y pense… je pense qu’il fait partie du chemin. Qu’à cet endroit-là, manifestement, on ne pouvait pas faire autrement. Que cet escalier fait non seulement partie du chemin mais que ces marches douloureuses m’ont soutenu, m’ont aidé à gravir cette pente. Peut-être que sans ces marches j’aurais glissé sur la terre, que l’obstacle aurait été infranchissable. Et ça je ne pouvais pas forcément le comprendre vu d’en bas.

Et puis je me dis qu’en plus, ces marches m’ont fait grimper bien plus vite et bien plus haut que le joli sentier au fond du vallon ou au bord du bisse. Dur mais nécessaire. Et finalement bien utile.

C’est en ce sens, chers Amis, qu’il faut aborder une souffrance, une épreuve, une difficulté. Pas en se disant qu’on mérite son ciel, mais en se disant que les marches, quelque difficiles qu’elles soient, nous emmènent plus haut. Que Dieu nous aide à les monter, ces marches. C’est ça, porter sa croix. C’est dur mais c’est utile. Ça fait partie de notre chemin.

Bien sûr on voudrait que ça passe plus vite, lorsqu’on est en plein dans l’escalier, qu’on souffre, lorsqu’on a envie de redescendre parce que c’est trop dur, lorsqu’on est sur un lit d’hôpital, lorsqu’on traverse une rude maladie. Mais vous remarquerez que le long d’un bisse, à plat, ou dans le fond d’une vallée, personne ne vient vous aider pour vous donner la main. Le chemin est facile, pas besoin !

Par contre, lorsque vous êtes dans un passage difficile, il arrive que celui ou celle qui est devant vous dans l’escalier, dans le pierrier, dans la paroi, vous tende un bâton, un bras, une main pour vous aider à grimper. C’est dans l’adversité, dans l’épreuve, qu’on reconnaît ses vrais amis.

« Personne ne peut être mon ami, dit Jésus, s’il ne porte pas ma croix. » Ma croix, c’est parfois l’autre, celui à qui je tends la main et que j’aide à monter vers moi.

« Personne ne peut être mon ami s’il ne porte pas ma croix. » Et si c’était cela le sens de cette mystérieuse phrase de Jésus ?

En portant sa croix, on fait l’expérience de la fraternité, de la charité, de la vie chrétienne, disons-le, parce que ce n’est que là, précisément, qu’on nous tend la main, ce qui nous permettra de la tendre à notre tour lorsque c’est notre prochain qui portera sa croix. Ce qui nous permettra de voir cette personne, quelle qu’elle soit, comme un fils bien aimé qu’il nous faut aider, de l’accueillir en tant que telle, comme le disait notre deuxième lecture.

Alors non, chers Amis, Dieu ne veut pas la souffrance. Jamais. Mais puisque notre condition humaine rend notre souffrance inévitable – nous sommes humains – alors tant qu’à faire il veut que cette souffrance ne soit pas vaine, mais qu’elle soit un CHEMIN. Et il nous aide à la traverser.

Que cette souffrance nous transforme, qu’elle nous guide à la suite du Christ. Qu’elle soit un de ces escaliers rudes – c’est vrai – mais qui nous élève vers de plus belles cimes, vers de plus beaux cieux.

Et comme l’office du tourisme, Dieu sait bien que ces marches sont un peu démesurées parfois… Mais le jour où vous le rencontrerez, il vous dira que non, manifestement, à cet endroit-là de votre vie, on ne pouvait pas faire autrement.

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La Luette, dimanche 4 septembre 2016, 19.00

Et, dans une version légèrement différente :

Closillon, samedi 4 septembre 2010, 18 h. 15

Choëx, dimanche 5 septembre 2010, 9 h. 15

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