C’est plein de disputes, un bonheur !

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Homélie pour la Sainte Famille, année C

Siracide 3,2-14 / Psaume 127 / Colossiens 3,12-21 / Luc 2,41-52

Chers Amis,

Vous avez déjà vu dans les journaux ces histoires incroyables de parents qui oublient leurs enfants sur une aire d’autoroute, ou qui laissent leur nouveau-né en pleine chaleur dans leur voiture pendant qu’ils vont faire des courses ?

L’autre jour j’étais dans un fastfood arborant un grand M jaune pas loin d’ici, dans la plaine… Il était 22 h. Avant de remonter je me suis arrêté pour manger un morceau. A côté de moi arrive un couple avec un landau. Rempli, le landau, je précise.

Et le couple a passé trois-quarts d’heure à manger et à discuter dans le brouhaha, sans aucune attention au landau ni à son contenu.

Dans ma tête ont passé mille remarques à leur faire, mille manières de dire que j’étais quand même choqué de leur attitude.

Comme je le dis des fois à certains de mes amis, faudrait un permis pour être parents ! Mais je n’ai rien dit, et plus tard je me suis souvenu de l’Evangile que nous venons d’entendre.

Parce que, dites… des parents qui font un jour de marche sans s’apercevoir que leur fils n’est plus avec eux, on a aussi envie de dire que bon, quand même, c’est pas digne de parents, non ?

Eh oui seulement là, les parents, c’est Joseph et Marie ! Et leur fils s’appelle Jésus.

Quand la Bible nous parle de famille, quelle que soit la famille d’ailleurs, c’est bien souvent assez loin des « standards » bien pensants que nous aurions tendance à plaquer sur l’image d’un couple et de ses enfants.

Un grand bibliste de mes amis a été invité par une communauté religieuse il y a quelques temps pour parler de la famille selon la Bible. Cela a donné le dialogue suivant, que je vous relate de mémoire :

Le téléphone sonne…

Bonjour mon Père !

– Bonjour ma Soeur !

– Voilà ce serait pour que vous nous prêchiez une retraite.

– Mais bien volontiers, vous avez un sujet ?

– Oui, comme ce sera autour du dimanche de la Sainte Famille, et comme vous êtes bibliste, on aimerait vous entendre sur la famille dans la Bible.

– Fort bien. On pourrait par exemple parler d’Adam et Eve et du péché originel…?

– Oh non, mon Père, vous n’y pensez pas ! La famille ! Ça va choquer !

– Ah. Bon alors prenons la famille suivante. Abel et Caïn, un frère qui en tue un autre, intéressant, ça ?

– Mais vous êtes fou ? Voyons mon Père, pas dans une retraite sur la famille !

– J’entends bien mais vous m’avez demandé une retraite sur la famille DANS LA BIBLE. Le premier couple qu’on y rencontre ce sont Adam et Eve, et la première fois qu’on parle de frères, donc de famille, c’est avec Abel tué par Caïn… Je n’invente rien…

– Oui mais quand même…

– Bon, voyons une autre famille, prenons Joseph et ses frères, qui veulent le tuer.

– …

– Non ? Alors Esaü et Jacob, les jumeaux qui se disputent ?

– …

– Ou peut-être David et Bethsabée, sa maîtresse, dont il fait assassiner le mari ?

– …

– Bon… j’ai compris… vous voulez que nous parlions de la sainte famille, la famille de Jésus…

– [soulagée] Ah, voilà, ça c’est une bonne idée !

– Alors commençons la retraite par ce père qui n’en est pas un, puisque Joseph n’est pas le père biologique de Jésus, puis le deuxième jour on pourrait prendre la fuite en Egypte, l’exil, une famille menacée, ensuite je verrai bien un jour sur Joseph comme anti-modèle des machos puisqu’il ne dit absolument rien dans toute la Bible, on ne peut pas dire qu’il impose sa présence, et puis on pourrait aussi faire un sujet sur la fugue de Jésus, avec les parents qui marchent tout un jour sans s’apercevoir de son absence…

Après un silence gêné, le religieuse reprend :

– Heu… on vous rappellera, mon Père.

Inutile de dire que la communauté religieuse n’a jamais rappelé mon ami bibliste…

Tout ça pour dire qu’en matière de sainte famille, nous attendons trop souvent une famille bien comme il faut, avec Marie les mains bien jointes, Joseph le regard bien admiratif, la tête légèrement penchée, le sourire béat, un peu niais des tableaux de la Renaissance. Ça c’est la sainte famille qui nous rassure.

Mais il y a plus grave.

Parce que, du coup, nous nous projetons nous-mêmes dans cette image irréelle, et nous attendons de nos familles une image d’Epinal. Sans conflits, sans disputes, sans fils maudit, sans particularité honteuse. Sans une seule ombre au tableau, quoi.

Hémon, le fiancé de la petite Antigone de la tragédie grecque a cette phrase étonnante, dans la version de Jean Anouilh : « C’est plein de disputes, un bonheur… »

… C’est plein de disputes, un bonheur …

Faudrait peut-être le redire à nos petits jeunes qui se larguent à la première dispute, persuadés qu’ils se sont trompés de prince charmant, ou de princesse… Vous vous êtes disputés ? Mais attendez c’est NORMAL…

Et dans la Bible aussi, les familles fonctionnent comme ça. Ah ben évidemment il faut la lire pour le savoir, et pas y plaquer tout ce qu’on voudrait qu’elle dise mais qu’elle ne dit pas…

L’image que la Bible nous renvoie de la famille n’est pas tout à fait l’image fleur bleue que la bonne pensée chrétienne voudrait concevoir. Pas tellement, même… Pas du tout, d’ailleurs.

Au contraire, c’est plutôt une image qui détonne, qui surprend. Et quand on est surpris, dans la Bible, il y a souvent Dieu derrière.

Vous avez une famille parfaite, chers Amis ? Quel bonheur pour vous ! Faudra me la présenter !

Moi, de mon côté, je n’en connais pas. Aucune. Et pourtant j’en rencontre, des familles, je peux vous dire !

Je connais des familles avec des disputes sur l’héritage, avec des secrets de familles plus ou moins bien cachés, avec éventuellement même un mort dans le placard, avec tel ou tel divorce, telle ou telle recomposition plus ou moins improbable ou au contraire très heureuse. Je connais des couples qui élèvent la voix régulièrement sur leurs enfants, et entre eux aussi. Des baffes qui partent, et qui sont saines, faudrait le redire aussi aux allumés de certains tribunaux qui flanquent des procès pour une gifle alors qu’ils n’en ont eux-mêmes pas assez reçu. Parce que c’est plein de disputes, un bonheur.

Je connais des familles avec un ado gay, avec un enfant handicapé, avec des frères et soeurs qui ne se causent plus, avec un cousin qui a tenté d’assassiner sa cousine, etc.

Mais la famille parfaite, je ne la connais pas. Le long fleuve tranquille, même au cinéma c’est rare.

Parce que le long fleuve tranquille a non seulement quelque chose d’inquiétant et d’irréel, mais parce qu’il n’a rien à voir avec ce que la Bible nous enseigne, chers Amis. Mais alors rien du tout.

Alors OK, ce serait un roman de gare, on le mettrait de côté après l’avoir lu et on en prendrait un autre… Mais là, non… c’est notre livre sacré.

Et notre livre sacré indique qu’il ne faut pas s’attendre à une famille idéale, parce que dès les premières pages de la Bible, dès qu’on parle de famille, c’est pour indiquer qu’un frère en a tué un autre. C’est pour indiquer la jalousie. La convoitise. La tromperie.

Qui parmi vous a une famille qui n’a jamais – je dis bien jamais – dans son histoire, connu ces quelques ombres au tableau ? Qui ?

Personne.

Et la grande famille des prêtres et de l’Eglise n’est pas meilleure que les autres. Les médias nous le rappellent avec délectation. Peut-être parce que ça les rassure qu’on soit nous aussi imparfaits.

Alors fêtons la sainte famille, chers Amis… cette étonnante fête pour laquelle on aurait pu choisir le texte de Noël, la crèche, la belle image de Marie, Joseph, Jésus, les Anges…

Eh bien non, l’Eglise nous propose de lire, en cette fête, l’histoire de Jésus retrouvé après un jour de recherche par ses parents, dans l’Evangile.

C’est pas pour autant qu’il faut se disputer parce que c’est la Bible qui le dit, hein ! Ah non, tombez pas dans l’extrême inverse ! C’est pour ça, d’ailleurs, qu’on a associé à cette fête la superbe première lecture du livre de Ben Sirac, avec ses conseils plein de sagesse. C’est pour ça aussi qu’on lit ce fameux passage des Colossiens, avec la phrase « Femmes soyez soumises à vos maris » qui vous fait toujours hurler, Mesdames.

Et là aussi faudrait voir à se calmer. Dans la langue d’origine ça veut dire « Respectez vos maris », et on demande exactement la même chose aux hommes pour leurs épouses à la phrase suivante. C’est assez beau, finalement.

Mais Ben Sirac et Paul nous montrent l’idéal. Le respect des époux et des parents. Seulement cet idéal, nous savons bien que nous le suivons rarement.

Alors chers Amis, quand nous sommes tentés de juger de soi-disant mauvais parents, comme j’ai été tenté de le faire… quand nous regrettons une dispute en famille, quand nous nous lamentons sur tel ou tel membre ou pièce rapportée de nos familles qui n’est pas tout bien comme il faudrait, qui est peut-être même carrément à l’inverse de ce que dit la morale… chers Amis…

Souvenons-nous alors que les personnages de notre livre sacré ce sont Abel et Caïn, Adam et Eve, Esaü et Jacob, Joseph et ses frères, David et Bethsabée, Sarah qui défie Dieu en lui riant au nez, Joseph dont le premier mouvement est de vouloir répudier sa petite Marie, on l’oublie quand ça nous arrange… Souvenons-nous que notre enfant-Dieu a fait une fugue à douze ans. Et qu’il s’est fait reprendre sévèrement par ses parents. Souvenons-nous de tout cela, chers Amis !

Une sainte famille n’est pas une famille sainte.

Une sainte famille est une famille extraordinaire par son ordinaire. Tout à fait détonante de normalité.

Pleine de disputes, de drames, de remous. Pleine d’ombres.

Et l’ombre est toujours le signe qu’il y a de la lumière quelque part.

L’important n’est pas de s’arrêter sur nos ombres, mais d’y faire habiter Dieu pour mieux en tirer de la lumière.

Exactement ce que Jésus a fait en venant habiter parmi nos familles, pour mettre de la lumière dans notre monde.

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Flanthey, samedi 29 décembre 2012, 17.00

Lens, dimanche 30 décembre 2012, 9.30

Montana-Village, dimanche 30 décembre 2012, 11.00

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2 Responses

  1. Julien Lambert

    Merci Vincent pour cette belle homélie libératrice : il y a tant de non-dits dont on a honte dans les familles, qui empêchent de vivre ce mystère d’union en toute Vérité, occultant sa dimension fragile… mais du coup aussi sa préciosité, sa sainteté ! Dieu travaille et progresse avec nous comme nous sommes, avec nos parcours comme ils sont, tu le dis avec une légèreté et une tendresse qui outre Anouilh rappellent un Giraudoux, lui aussi convaincu que la perfection de la nature humaine est dans son adhésion totale à sa normalité, voire à sa médiocrité (Ondine, Amphytrion 38, Sodome et Gomorrhe…) MERCI !

  2. Sophie Lovisa

    C’est drôle… J’ai lu le début du récit de ta rencontre au grand M jaune et je me suis dit:
    – Comme ils ont eu de la chance, ces jeunes parents… Tout ce temps pour se regarder dans les yeux!
    Ah… la vilaine maman que je suis! 😉

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