Dis, ce serait pas jaune, des fois ?

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Homélie pour le 5e dimanche de Carême, C

Isaïe 43,16-24 / Psaume 125 / Philippiens 3,8-14 / Jean 8,1-11

 

> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :

 

Chers Amis,

 

Auriez-vous lancé la pierre, vous ?

…Oh je lis dans tous vos esprits que non, bien sûr que non, vous n’auriez pas lancé la pierre…

Mais je peux poser la question différemment. Vous verrez que ce n’est pas aussi simple que ce qui peut nous apparaître de prime abord.

Si la loi de votre pays vous demandait de lancer cette pierre, l’auriez-vous lancée ? Parce que la loi du temps de Jésus ordonnait de lancer cette pierre…

L’auriez-vous lancée ou… auriez-vous enfreint la loi ?

Vous voyez que la question est loin d’être toute simple.

La véritable question qui se pose, à travers ces textes, c’est : quel est notre rapport à la loi ?

Quand un feu est rouge, par exemple (il n’y en a pas grand nombre dans notre vallée, des feux de la circulation !), mais quand un feu est rouge, qu’est-ce que vous faites ?

…Bah vous vous arrêtez, j’espère bien !

C’est en Italie qu’on passe au feu rouge… du coup on s’arrête au vert là-bas… parce que comme les autres passent au rouge, il vaut mieux faire gaffe !

Pas en Suisse. Chez nous, quand le feu est rouge, on s’arrête.

Mais si le feu reste rouge trois minutes, quatre minutes, cinq, sept, dix… Allez-vous rester dix minutes arrêtés au feu rouge ? C’est que, manifestement, il est déréglé !

…Mais il est rouge ! il met un certain temps à passer au jaune clignotant quand il est déréglé. Alors qu’allez-vous faire ?

Allez-vous passer ? Ou allez-vous attendre deux heures s’il le faut jusqu’à ce qu’il passe au jaune clignotant ?

Ce serait absurde, vous êtes d’accord ? Nous allons passer, nous allons regarder s’il n’y a personne et nous allons, prudemment et lentement, passer.

Ah oui seulement ça revient à transgresser la loi, chers Amis… C’est 250.-, griller un feu rouge. Et si vous le grillez après plus de trois secondes (et à fortiori après dix minutes ça fait largement du temps que les trois secondes sont passées), si vous le grillez après plus de trois secondes une jurisprudence nous indique que vous pouvez vous retrouver en prison pour avoir pris le risque de tuer quelqu’un.

A l’heure actuelle ça peut vous valoir jusqu’à trois ans de prison, je vous le signale.

Alors que faire ? Eh bien passer, évidemment. En faisant attention.

Mais dans le cas présent – un feu rouge depuis dix minutes ou depuis une heure, c’est qu’il est effectivement déréglé ! Mais la loi continue de s’appliquer !

Peut-être, alors, chers Amis, que tout n’est pas rouge ou vert… Peut-être que tout n’est pas forcément juste ou faux. Permis ou interdit.

Peut-être y a-t-il une zone grise là au milieu.

Peut-être y a-t-il une autre manière de regarder la loi.

Peut-être qu’il existe aussi des feux jaunes clignotants… Et d’ailleurs c’est exactement ce qui se produit au bout d’un certain temps quand un feu est déréglé : il passe au jaune clignotant.

Et vous avez remarqué combien ça déstabilise bon nombre de gens ? On ne peut plus passer les yeux fermés, quand c’est jaune clignotant ! Il faut faire attention, regarder, ralentir… Il faut être adulte, en somme.

Prendre soi-même la décision ou non de passer. On ne peut plus se réfugier derrière : « C’était rouge ! » ou « C’était vert ! ». Non. On doit prendre nous-mêmes la responsabilité.

C’est ça être adulte.

Et il y a des gens qui n’aiment pas cela du tout. Il y a des gens qui veulent rester enfants toute leur vie face aux règlements : « C’est permis ou c’est interdit, il n’y a pas de milieu ! »

Ben si. Toute notre vie montre qu’il y a un milieu. Et que c’est justement là que l’on grandit, que l’on devient adultes face à la loi. Quand on apprend à discerner ce qu’il y a au milieu.

Et tous les textes d’aujourd’hui, chers Amis, nous parlent de notre rapport à la Loi, et donc de notre rapport, de notre relation à Dieu, aussi.

Car on peut être le plus fin connaisseur de la loi, la connaître par cœur, si on ne l’applique pas en adulte, en relation avec Dieu c’est-à-dire avec nos valeurs profondes, alors on peut faire des catastrophes.

Le prophète Isaïe, d’abord, nous parlait du temps de la Loi de Moïse… Les dix commandements.

Et effectivement, « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain » c’est un commandement ! Au temps de Jésus, on pouvait dire : « Eh bien adultère = lapidation ».

Seulement dans les mêmes dix commandements il y a « tu ne tueras pas » quand même, hein…

Il arrive que des lois rentrent en contradiction les unes avec les autres, et là il faut se mettre à réfléchir…

Ce n’était pas mieux du temps des dix commandements, d’ailleurs, hein !

C’était la loi du Tallion qui s’appliquait à l’époque : œil pour œil, dent pour dent. On a fait mieux quand même avec nos règlements, depuis, hein !

D’ailleurs Paul le disait aussi, à sa manière, dans la deuxième lecture : « tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme des ordures » disait Paul. C’est très dur comme mot!

Seul le Christ compte pour lui, et il le disait dans notre lecture. C’est cela qui dépasse tout. C’est mon lien au Christ.

Et effectivement nous devons agir de la même manière. C’est notre lien au Christ qui dépasse tout. Y compris la loi si elle est conçue en termes de « permis » ou d’« interdit », si elle est binaire seulement.

C’est pour ça qu’il faut introduire l’idée de RELATION dans notre manière de faire les choses. Être en relation avec Dieu et être en relation avec la Loi, lui donner du sens.

Les Pharisiens, dans l’épisode de la femme adultère, tendent un piège extrêmement vicieux à Jésus.

« Cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. La Loi nous demande de lapider ces femmes-là. Qu’est-ce que tu dis ? »

Et Jésus est coincé en apparence. S’il suit la loi, il lapide cette femme. Mais s’il ne le fait pas, il enfreint la loi.

Eh bien non, Jésus ne va pas tomber dans ce piège-là. Il ne va pas se laisser coincer au jeu du « tout blanc » ou « tout noir », « celui qui n’est pas avec moi est contre moi », vous savez ?

Non. Il y a un juste milieu, très très souvent dans nos vies. Il y a une troisième voie possible.

Et Jésus l’a trouvée. Il n’a pas dit : « Oui, vous avez raison, c’est dans la Loi, il faut la lapider, d’ailleurs allons-y, je lance la première pierre !» …non ! Mais il n’a pas été laxiste non plus. Il aurait très bien pu dire : « Je n’en ai rien à faire de la Loi, fichez-moi le camp, laissez-la tranquille ! » …il n’a pas dit cela non plus.

Il a trouvé la troisième possibilité. Il n’a pas accepté ou rejeté la loi, il lui a donné du sens, il l’a MISE EN RELATION avec les gens qui étaient là.

« Est-ce que VOUS, vous lanceriez la pierre ? » demande Jésus.

Et chacun s’examine… chacun se dit : « Moi aussi, ça m’arrive de faire des erreurs… de quel droit est-ce que je jugerais cette personne ? » et personne ne lance la pierre.

Et aucun de vous ne l’aurait fait, moi non plus. Parce que nous sommes humains, nous savons très bien que nous aussi, nous faisons des erreurs – j’espère pas l’adultère, mais nous en faisons – et nous en faisons parfois de très graves, certaines qui regardent les commandements, aussi.

Jésus est exigeant. Il ne nous dit pas : « Allez en paix avec vos erreurs, continuez à les faire, c’est très bien ! » …non !

Il dit effectivement à la femme adultère : « Va en paix mais ne pèche plus. »

Ça ne veut pas dire « Ne recommence JAMAIS ! » Jésus sait très bien qu’elle est humaine, qu’elle va commettre des péchés, d’autres peut-être, comme chacun de nous. Mais il ne s’agit pas d’un chèque en blanc pour en commettre de nouveaux.

Il y a une troisième voie. Le péché ce n’est pas forcément enfreindre la Loi, c’est d’abord ne pas être en relation avec Dieu. Assécher la loi, la dénuer de sens, la vider de son sens.

Ce « va et ne pèche plus » signifie : « Va, Dieu t’a sauvé, et désormais sois en relation avec Lui, ne l’oublie plus, et ne désespère plus, sache qu’il est toujours avec toi, même au cœur de ton péché le plus sombre. Même au cœur de tes feux rouges, ou de tes feux verts. Il est toujours là pour te dire : ‘Dis donc… ce serait pas jaune, des fois ? Réfléchis !’ »

Et c’est exactement ce que fait le pape François, chers Amis. Et ça déstabilise beaucoup de gens. Pendant longtemps, dans l’Eglise, les choses ont été soit autorisées soit interdites, il n’y avait pas de milieu. Et c’était confortable…

Dieu que c’est confortable ! Parce qu’alors on peut juger celui qui ne suit pas exactement la loi. Et Dieu que nous avons jugé…

Aujourd’hui avec le pape François, il n’y a pas de choses autorisées ou interdites, ce n’est pas aussi simple. Il nous renvoie la question, il nous dit : « Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ? »

Dans telle situation, est-ce que ce ne serait pas autorisé ? Mais dans telle autre, est-ce que ce ne serait pas interdit ?

Il essaie de nous rendre adultes… Vaste programme !

Vous voyez, ce que dit Jésus à la femme adultère, ce n’est pas une parole d’interdit, ce n’est pas une parole laxiste non plus. C’est une parole qui rend adulte, qui libère.

Ce n’est pas la pierre qu’on lance pour tuer quelqu’un, ce n’est pas le pavé qu’on lance dans la mare pour faire scandale, c’est la pierre que l’on pose, à sa juste place dans le mur, pour construire ensemble le Royaume de Dieu.

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Hérémence, dimanche 7 avril 2019, 9.00

Evolène, dimanche 7 avril 2019, 10.30 (version enregistrée)

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