Donnons-nous la paix d’Aurélia

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Homélie pour le 5e dimanche de Pâques, C

Actes 14, 21b-27 / Psaume 144 / Apocalypse 21,1-5a/ Jean 13,31-35

 

> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :

 

Chers Amis,

 

Quand on entend, comme nous l’avons entendu dans l’Evangile il y a un instant : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », il arrive que, dans notre tête, l’automate s’enclenche, que le projecteur de cinéma démarre… Et qu’aussitôt nous viennent des images de Jésus hippie façon années 70 vous savez…

On l’imagine débordant de kitsch, ce dernier repas, avec ses amis, tout sourires, c’est tout juste si le décor n’est pas rose bonbon. En tout cas Jésus a les cheveux longs, les yeux bleus, certainement une fleur sur l’oreille, probablement un jeans à pattes d’éléphant. On entend une vieille rengaine : « je crois en Dieu qui chante et qui fait chanter la vie ». Ça    ressemble un peu à Woodstock ou à une communauté en Ardèche… Hein ?

Eh ben… pas vraiment, en fait. Ce n’est pas tout à fait le décor de cette phrase.

Il fait nuit, quand Jésus prononce cette phrase, « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». On est sur le mont des Oliviers. Jésus sait qu’il va mourir le lendemain.

Ça calme, tout à coup.

Il sait que Judas – qui vient d’ailleurs de quitter précipitamment la table – il sait que Judas est en train de le vendre pour un peu de fric. Lui, son ami.

Et au même moment il sait que Pierre, qui vient de dire qu’il pourrait mourir pour lui, va le renier trois fois dans quelques heures, en pleine nuit. Il sait que Pierre, son ami, va aller jusqu’à dire qu’il ne connaît même pas Jésus.

Il fait nuit quand Jésus prononce cette phrase. Jésus a peur au point de suer du sang ce soir-là. C’est peut-être l’un des moments de l’évangile où il nous ressemble le plus, où il est le plus humain.

Il a demandé à Dieu d’écarter le danger, comme nous savons si bien le demander quand nous sommes en détresse.

Il est terrorisé. Il est humain, simplement, désespérément humain.

Il pleure peut-être sur cet ami qui le trahit ce soir-là, sur cet autre ami qui va le renier avant même qu’un coq n’ait eu le temps de chanter deux fois. Comme nous, il nous arrive de pleurer sur les amis qui nous trahissent.

Il fait nuit quand Jésus prononce cette phrase au mont des Oliviers. Il fait nuit dans la tête de Jésus aussi, ce soir-là. Le Jésus rose-bonbon des années 70 en prend un sacré coup.

Il fait nuit. Et Jésus a toutes les bonnes raisons de s’enfuir en courant. Et pourtant non. Il vient de faire un geste inouï : prenant la position de serviteur, la position de l’esclave, il vient de laver les pieds de ses amis.

Et le voilà qui leur dit que le seul commandement qui compte désormais, c’est : aimez-vous comme je vous ai aimés.

Mettez-vous au service les uns des autres comme je viens de le faire pour vous.

Espérez même en celui dont vous savez très bien qu’il va vous trahir, espérez même en celui dont vous savez très bien qu’il va vous renier.  Espérez en tout homme…

Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Car, ajoute Jésus, c’est à l’amour que vous avez les uns pour les autres qu’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples.

Voilà, chers Amis, ce que nous dit Jésus ce soir à Mâche. Car à chaque fois que nous relisons ce texte, c’est Jésus qui vient nous redire cette phrase : « Aimez-vous les uns, les autres, comme je vous ai aimés. »

Depuis, c’est bien connu, depuis 2000 ans, les Chrétiens, c’est la religion de ceux qui s’aiment les uns les autres…

… [un temps] … Non ? Je vois quelques doutes sur certains visages…

Ah oui, si on écoute les autres religions parler de nous, c’est en tout cas ce qu’on leur dit du Christianisme : « Les Chrétiens, ceux qui s’aiment les uns les autres ! »

On devrait peut-être préciser de quel verbe il s’agit, quand on dit « ceux qui s’aiment »…

…Est-ce que c’est le verbe « s’aimer » ou est-ce que c’est le verbe « semer » ? Faudrait peut-être préciser ! « Voyez comme ils sèment… » oui mais quoi ?

…Vaut peut-être mieux pas continuer la phrase !

C’est à l’amour que vous avez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, dit Jésus…

Il y a quelques années, dans l’un des cours de religion que je donnais en 6e primaire dans ce Valais où le bon sens s’enseigne encore à l’école, une petite fille lève la main.

–   Vincent ?

–   Oui, Aurélia.

–   Pourquoi les Chrétiens sont hypocrites ?

–   Je te demande pardon ?

Les enfants ont ceci de merveilleux qu’ils vont droit au but. Ils ne prennent pas de gants. Nous on a besoin de plus de temps, des fois.

Alors je lui demande :

–   Est-ce que tu peux préciser ta question, Aurélia ?

–   Ben oui, me dit-elle… quand je vais à la messe, on se serre tous la main à un moment donné. Ma Maman, elle donne la main, elle donne la paix je crois, tout autour d’elle. Enfin si j’ai bien compris, parce que je crois que c’est ça qu’on se donne à ce moment-là. La paix, non ?

–   Eh oui, tu as très bien compris, Aurélia.

–   Mais, continue-t-elle… ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi dès que la personne à qui elle a donné la paix s’est éloignée, à la fin de la messe, Maman recommence à dire du mal de cette personne. Et j’ai remarqué qu’elle n’est pas la seule. C’est pas ça qu’on appelle l’hypocrisie ?

–   Eh bien… si, Aurélia, c’est ça qu’on appelle l’hypocrisie.

Et elle continue, comme pour enfoncer le clou :

–   Parce qu’en fait, me dit-elle, Jésus, c’est la paix qu’il a souhaité qu’on se partage, non ?

–   Oui.

–   Même si on sait que nos amis vont nous trahir juste après ?

–   C’est ça.

–   Alors moi, me dit-elle avec un grand sourire, à la prochaine messe, je prendrai un moment pour donner la paix au plus de monde possible. Je les regarderai bien dans les yeux en leur donnant la paix. Et je m’engage à ne pas dire du mal de ces personnes ensuite.

… [un temps] …

Aurélia, elle s’appelle. La racine de son prénom, ça vient du métal, l’or. L’or pur qu’il y a au fond de son cœur d’enfant. Elle a grandi depuis, je ne l’ai plus revue puisque je suis parti dans d’autres paroisses. Mais j’aime à penser qu’elle continue sur cette belle lancée.

Et ce jour-là, à l’école, j’ai eu envie de m’agenouiller et d’arrêter mon cours, parce que j’étais devant la pureté de l’Evangile, comme le voulait Jésus. Et je me suis rappelé que le même Jésus disait que si l’on ne redevient pas comme ces petits enfants-là, on n’entrera pas dans le Royaume des Cieux.

Parce qu’en fait le Royaume, c’est celui que l’on construit tout autour de nous, tous les jours. Ou celui que l’on détruit tout autour de nous tous les jours, c’est selon.

Le ciel nouveau, cette terre nouvelle dont nous parlait l’Apocalypse, notre deuxième lecture, ce règne éternel dont parlait le psaume il y a quelques instants, c’est ça. C’est le Royaume que nous construisons… ou pas.

Et dans les Actes des Apôtres, notre première lecture de ce soir, Luc nous rappelait que pour parvenir à ce Royaume, il nous faut passer par bien des épreuves. Y compris celle de nous reconnaître parfois hypocrites, moi le premier.

Parce qu’il faut bien reconnaître que ça nous arrive de donner la paix et d’oublier le geste que nous avons fait à peine sortis de ce bâtiment.

Alors pour faire un clin-d’oeil à cette petite valaisanne que vous ne connaissez pas, Aurélia, je vais vous proposer de vous donner la paix ce soir à un moment inhabituel de la messe, juste après l’homélie dans quelques instants.

Ça changera, plutôt que de le faire machinalement tout à l’heure ! Mais aujourd’hui, on va prendre tout le temps qu’il faut pour la donner à un maximum de personnes.

N’hésitez pas dans quelques instants à vous lever, à la donner derrière vous, devant vous, à côté, à traverser cette allée dont on a parfois l’impression que c’est un fossé infranchissable !

N’hésitez pas à donner la paix autour de vous. Moi, je reprendrai le cours de cette célébration dans quelques minutes, n’ayez pas peur. Mais prenons ce temps.

Et dans votre prière ce soir, ayez une petite pensée pour le visage souriant de la petite Aurélia. Ce n’est pas une immense théologienne, ce n’est pas une grande connaisseuse de la Bible. Elle a retenu UNE phrase de Jésus : « C’est à l’amour que vous avez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. »

Eh bien tant qu’à faire, autant retenir cette phrase-là plutôt que d’autres.

C’est dans cet amour que je vous invite maintenant, Frères et Soeurs, à partager ce trésor que Jésus nous a laissé. Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous !

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Mâche, samedi 18 mai 2019, 17.00 (version enregistrée)

Euseigne, dimanche 19 mai 2019, 19.00

…et dans une version un peu différente jadis :

Flanthey, samedi 27 avril 2013, 17.00

Lens, dimanche 28 avril 2013, 9.30

 

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  1. Pralong

    Merci Vincent de nous avoir laissé le témoignage d’Aurélia, car c’est si vrai que le geste de paix est trop souvent galvaudé. J’y penserai particulièrement tout à l’heure à la messe. Même si je ne connais souvent pas les personnes qui sont à mes cotés, je souhaiterai que certains devienne des amis.

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