Et vous, comment aimez-vous ?

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Photo DR : www.leral.ne

Homélie pour le 3e dimanche de Pâques, C

Actes 5,27b-32.40b-41 / Psaume 29 / Apocalypse 5,11-14 / Jean 21,1-19

Sortie d’Amoris Laetitia

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Chers Amis,

Comment aimez-vous, dans votre vie ? La question peut paraître étrange. Comment aimez-vous ?

C’est pourtant LA question qui semble compter une fois que nous rejoignons le ciel. Bien des personnes ayant approché la mort, soit par un arrêt cardiaque, soit par un coma prolongé, outre les histoires de lumière blanche, de tunnel, de sortie de leur corps – toutes choses qu’elles racontent et que j’ai personnellement vécues, je me garderai donc bien de mettre cela en doute – toutes ces personnes racontent aussi autre chose : elles racontent avoir rencontré quelqu’un ou entendu une voix qui leur demandait : « Comment as-tu aimé ? ».

Et c’est étrange car les témoignages concordent de façon surprenante : que ces personnes soient bouddhistes, musulmanes, athées, chrétiennes. Toutes disent la même chose : « La voix m’a demandé comment j’avais aimé. » Comme si c’était LA question principale de notre agir sur cette terre.

Or c’est aussi la question de l’amour qui anime Jésus, au bord du lac, envers Pierre, dans l’épisode que nous venons de ré-entendre. « M’aimes-tu ? » demande Jésus à Pierre.

Et Pierre répond, bien sûr, vous connaissez cet épisode. Mais ce que vous ne savez peut-être pas c’est qu’il y a un sacré jeu de mots, dans le langage d’origine de l’Evangile, en grec. Un jeu de mot que rend très très mal notre traduction française.

Parce qu’en grec, il y a deux verbes pour dire « aimer », alors qu’en français, très étonnamment, on utilise le même verbe pour dire qu’on aime son époux, son épouse ou… le chocolat. Alors que c’est pas tout à fait le même amour, excusez-moi… !

Dans toutes les autres langues, quasiment, il existe deux verbes en tout cas, bien différents :

– pour dire que l’on aime totalement – l’amour de charité, l’amour qui va jusqu’à donner sa vie pour celui ou celle qu’on aime

– ou bien un autre verbe pour dire que l’on aime, oui, normalement comme on aime le chocolat, par exemple.

Et dans l’épisode qu’on vient de ré-entendre, il y a ces deux verbes.

Le Christ attend de Pierre qu’il l’aime totalement. Il commence par lui demander : « Pierre, m’aimes-tu vraiment, complètement, jusqu’à donner ta vie pour moi ? » Il utilise le verbe fort.

Et Pierre répond avec le verbe plus faible : « Seigneur, tu sais que je t’aime un peu, simplement. »

Alors le Christ repose la question avec le verbe fort : « Pierre, m’aimes-tu vraiment, de tout ton cœur ? » Et Pierre répond à nouveau avec le verbe plus faible : « Seigneur, tu le sais, je ne t’aime qu’un peu, qu’à ma manière humaine. »

Et la troisième question est intéressante parce que, cette fois-ci, Jésus utilise lui-même le verbe faible : « Pierre, est-ce que tu m’aimes un peu, au moins ? »

Et c’est pour ça que Pierre est triste, parce qu’il comprend que Jésus s’abaisse à son niveau. Et la réponse de Pierre : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je ne t’aime que comme cela, pour l’instant. »

Le Christ attend de nous un amour total, comme il l’attendait de Pierre. Mais il sait bien que nous en sommes incapables, pour l’instant.

Que l’amour est un chemin, le chemin de toute une vie, le travail de toute une vie. Il sait bien que nous sommes incapables d’aimer pour l’instant au point de donner notre vie pour lui.

Alors il nous demande, au final, de l’aimer au moins un peu, au moins comme nous le pouvons. Et que notre amour soit joyeux, même s’il est imparfait.

Et vous voyez, chers Amis, ce que vous découvrez là c’est exactement le thème du magnifique texte que le pape François vient d’éditer vendredi, avant-hier. Vous avez certainement lu l’un ou l’autre article de journal hier sur ce texte qui fait suite aux synodes sur la famille. Une exhortation post-synodale, c’est son nom barbare.

Le titre en est « Amoris Laetitia ». Ça ne veut pas dire que c’est adressé à un certain Maurice et à une certaine Laetitia, c’est du latin, ça veut dire – Amoris Laetitia – « La joie de l’Amour ».

Et François, dans ce texte, met en avant notre façon d’aimer. Et il nous pose la question : quelle est notre façon d’aimer.

Bien sûr il y a dans nos familles des personnes qui vivent l’amour selon les règles. Grand bien leur fasse ! Il y a aussi des personnes qui vivent l’amour en-dehors des règles, en-dehors des cadres, en-dehors des prescriptions. Et le pape François dit : « L’important n’est pas là. L’important, le critère le plus important, c’est l’amour. Pas la règle. »

Et ça c’est nouveau, de la part d’un pape.

Alors attention, ça ne veut pas dire que l’amour balaierait toutes les règles. La règle demeure, le Christ le disait d’ailleurs. Mais François met l’amour en premier, avant la règle.

Si vous lisez les articles de journaux qui sont parus hier sur ce texte, vous avez dû lire de belles bêtises. Parce que malheureusement la plupart des journalistes qui ont écrit sur ce sujet soit n’ont pas lu les 200 pages que le pape François nous a données, soit – ce qui est plus grave encore – ne les ont pas comprises. C’est un peu embêtant, parce que c’est un métier, journaliste, normalement.

La plupart des articles vous disaient ceci : « Porte ouverte aux divorcés-remariés, aucun signe pour les homosexuels. » Il n’y a rien de plus faux que de conclure cela à la lecture de ce texte.

Le pape François tend, à plusieurs reprises dans ce texte, une main aux personnes qui vivent un amour homosexuel, par exemple. Et il n’ouvre pas pour autant toutes les portes aux divorcés-remariés. Non, pas toutes.

Alors on pourrait se demander : c’est permis ou c’est pas permis, finalement ? On aimerait savoir, nous ! Eh bien c’est pas si simple, chers Amis.

Si notre pape François est si novateur et si déroutant, c’est parce qu’il ne voit pas la règle en termes de « permis » ou d’« interdit », en termes d’absolu. Il ne réduit jamais rien à la règle. Et c’est ça qui est formidablement nouveau.

Pendant des siècles on a vécu – vous avez vécu – les règles de l’Eglise de manière stricte. Soit c’est permis, soit c’est pas permis. Soit le feu est vert, soit le feu est rouge. C’est très simple. C’est TROP simple. Parce que Jésus ne fonctionne pas comme ça.

Et beaucoup attendaient du pape François qu’il place des feux rouges et des feux verts, qu’il nous dise : « ça c’est permis… ça c’est pas permis. »

Mais comme ce n’est pas la façon de faire de Jésus, ce n’est pas non plus la façon de faire du successeur de Pierre qu’est François.

Dans notre première lecture, les Actes des Apôtres, le Grand-Prêtre tombe exactement dans le même piège : il dit aux Apôtres : « Je vous avais interdit d’enseigner ! Et vous l’avez fait quand même. C’est mal. »

…Oui mais enfin c’est l’enseignement des Apôtres ! C’est peut-être pas si mal que ça !

Il y a de bonnes façons de transgresser une règle. Ça s’appelle lui donner du sens, chers Amis. C’est exactement ce que fait François.

Le feu n’est plus rouge pour tous ceux qui vivent en situation irrégulière, il est passé au jaune clignotant.

Ça veut-il dire qu’on peut passer les yeux fermés ? Non. Ça clignote… Ça veut-il dire que personne ne peut passer ? Non. Ça clignote…

Il va s’agir de réfléchir, d’ouvrir les yeux, de faire attention aux autres, d’être prudent. Ah évidemment c’est moins facile ! Ça sous-entend d’être adulte, chers Amis…

Le pape François ne pose plus de feux rouges, il met un jaune clignotant : « Réfléchissez si vous pouvez passer, faites attention, donnez du sens… »

Ce qui m’amuse beaucoup c’est qu’il n’y a plus de feu vert non plus, avec François. On ne peut pas suivre les règles et se dire qu’on est exactement dans le juste parce qu’on suit les règles à la lettre. Non. Le feu est aussi jaune clignotant.

Tu suis la règle ? C’est bien. Mais est-ce que la règle te libère ou est-ce qu’elle t’amène à juger ceux qui ne suivent pas la règle comme toi ? Dans ce dernier cas, pose-toi de sérieuses questions. Ce n’est pas ça, suivre la règle.

C’est la sagesse, voyez-vous, qu’il nous faut acquérir. Celle dont parlait aussi notre deuxième lecture, l’Apocalypse, car Dieu ne doit pas seulement recevoir de notre part honneur, gloire, louange, mais aussi la sagesse. La sagesse de reconnaître que suivre une règle les yeux fermés et enfermer celui qui ne la suit pas dans notre jugement, eh bien ce n’est pas chrétien.

Avec François, la porte n’est ni ouverte, ni fermée. Elle est entrouverte pour tous. C’est à chacun, ensuite, de faire le geste. D’ouvrir ou de fermer. Tout dépend de notre attitude, tout dépend de notre façon d’aimer.

Et vous voyez, chers Amis, il y a des couples mariés qui ont suivi toutes les règles, toute leur vie… mais qui ne s’aiment plus, qui se déchirent, qui enferment l’autre dans des jugements… Ces gens-là vivent-ils l’amour ? La réponse est non. Et pourtant ils ont suivi toutes les règles !

A l’inverse, il y a des couples divorcés-remariés, des familles monoparentales, des personnes homosexuelles, des gens qui habitent ensemble avant le mariage, des gens qui s’aiment au point de donner leur vie pour l’autre. Des gens qui aiment totalement. Ces gens-là vivent-ils l’amour ? La réponse est oui.

Tout ne se résume pas à la règle, mais à notre manière d’aimer.

Alors avant de nous demander ce qui est juste ou faux, ce qui est bien ou mal, ce que François a voulu dire ou non, demandons-nous chers Amis comment nous, nous vivons l’amour dans chacune de nos vies. Balayons devant notre porte avant de juger l’autre. Demandons-nous comment nous aimons le Christ en chacun des visages que nous rencontrons.

Ainsi, lorsque Jésus, un jour, nous posera la question : « Comment as-tu aimé ? », nous pourrons répondre : « J’ai essayé d’aimer du mieux que je le pouvais. »

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Evolène, dimanche 10 avril 2016, 9.00

Hérémence, dimanche 10 avril 2016, 10.30 (version enregistrée)

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2 Responses

  1. Nathalie

    Et c’est aussi LA question qui animera les Camps Voc’2016 !
    «Pierre, m’aimes-tu?»: C’est à toi, à moi, à nous, à vous… que Jésus pose la question: «Comment m’aimes-tu? Et comment aimes-tu?»
    http://www.vocations.ch/camps-voc

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