L’âge de (Simon) Pierre

Photo DR : Pierre Thomas, planet-terre.ens-lyon.fr

Homélie pour le 22e dimanche TO, année A

Isaïe 66,18-21 / Psaume 116(117) / Hébreux 12,5-7.11-13 / Luc 13, 22-30

NDLA : Les expressions en italique bleu sont en patois d’Evolène.

 

 

Chers Amis,

C’est un grand feu de joie – un bio bassô – qui brûle dans mon coeur depuis que j’ai appris ma nomination de curé d’Evolène, d’Hérémence et de Vex.

Un autre grand feu de joie depuis deux jours que j’habite ici, chez vous. Yo ché coutèn d’esre chille aoué vo n Oleïna ! Je suis content d’être ici avec vous à Evolène !

Beaucoup d’entre vous me l’ont dit, c’est une joie pour vous aussi que d’avoir un curé, car ce n’était pas gagné. Bon, là, il va vous falloir déchanter… Vous avez un curé à la tessa dura, vous savez. Va falloir accepter mes pauvretés, mes faiblesses, ce qui fait que, comme vous, je suis un être humain.

Mais si, au lieu d’un curé, c’était le Christ qui revenait sur terre, précisément chez nous, à Evolène, vous imaginez deux secondes la scène ?

Extraordinaire ! Tout le monde l’accueille, tous les Chrétiens sont en liesse, on reconnaît le Messie, merveilleux ! Peut-être que, comme pour moi, une jeune du village lui apprendrait le patois.

Et le voilà qui nous dit : « Vous êtes heureux de me voir, magnifique, mais vous savez, il va falloir que je passe par une campagne de dénigrement de la part du Nouvelliste, que je me fasse ridiculiser à Infra-Rouge, sur la TSR, que je sois condamné par le Tribunal Fédéral, sous vos yeux, et par-dessus le tout que je meure lapidé dans quelques jours » Que dirions-nous ?

– Mais non Seigneur ! On est là ! Ça ne t’arrivera pas ! C’est impossible ! Tu connais pas les Evolénards, toi !

Et c’est exactement la réponse de Pierre, dans l’Evangile d’aujourd’hui. Mais non, Seigneur, cela ne t’arrivera pas.

Et que lui dit Jésus, que nous dirait-il si nous avions cette réponse ? Cette phrase terrible de l’Evangile d’aujourd’hui : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es un obstacle sur ma route, tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des Hommes. » Elle a dû être terrible à entendre, cette phrase, pour le pauvre Simon-Pierre.

Le Christ aide ses disciples à comprendre qui il est. Et il nous aide aussi, par étapes, à nous souvenir de qui il est.

Dimanche dernier, Pierre comprenait ENFIN – et les disciples avec – que Jésus est le Messie. Jusque-là c’était pas évident : c’était un homme avec lequel ils faisaient tous route, un homme étonnant, un sage qui disait de belles choses et faisait quelques miracles, mais il y en a toujours eu, à toutes les époques.

Enfin, alors qu’ils sont aux confins du pays, à Césarée de Philippe, Pierre dit à Jésus : « Tu es le Messie ».

Première étape, semble penser Jésus. Ils ont compris qui je suis. La deuxième étape va être beaucoup plus difficile à leur faire passer.

Car pour les Juifs de l’époque comme pour ceux d’aujourd’hui, pour Pierre, Jacques, Jean, pour tous les disciples, et très souvent pour nous aussi, le Messie, Dieu, c’est forcément un Tout-Puissant. Un gars plein de muscles, capable de nous sauver tous, peut-être pas avec un grand « S » sur la poitrine, mais en tout cas un Sauveur !

Comme pour certains villageois, le curé c’est quelqu’un à qui on peut nécessairement tout demander et grâce à qui toutes les prières seront exaucées… Faut se calmer deux secondes, Chers Amis…

Prêtre, c’est vrai, c’est lu mi bio muchiè do moundo, le plus beau métier du monde. Et il faut le dire à nos jeunes. Moi je me suis laissé séduire par Dieu, comme le disait Jérémie, magnifiquement, dans notre première lecture. Et je n’ai jamais regretté, j’aime mieux vous le dire.
Mais un prêtre, ce n’est pas un magicien, il porte ses croix tout comme le Christ et comme chacun de vous.

Jésus sait qu’ils attendent un Messie tout-puissant. Et il va devoir leur faire avaler la pilule de sa déchéance, du fait qu’il sera rabaissé par tous, qu’il devra souffrir, et qu’il sera finalement mort sur une croix.

C’est impossible à entendre pour Pierre, tout comme pour les disciples. C’est tout simplement scandaleux. Le Messie ne PEUT PAS avoir cela à vivre, c’est impossible.

Et pour nous, à deux mille ans de là, c’est tout aussi scandaleux. Dieu ne peut pas mourir, c’est impensable. Oui, d’accord, on sait bien qu’il a été crucifié, mais il est ressuscité, on le rajoute tout de suite ! Ça nous rassure sur nos propres croix. Parce que nous suivons les modèles du monde. Les magazines, les journaux, qui nous font croire que l’argent rend heureux, que la gloire c’est d’être célèbre. Mais ça, c’est l’esprit du monde dont parlait Jésus à Pierre quand il lui disait que ses pensées sont celles du monde et pas celles de Dieu.

La croix vient d’abord, avant la résurrection.

Non, mes amis, non, nous n’avons pas beaucoup évolué en deux-mille ans. Nous ne sommes pas très différents de Pierre. Nous sommes toujours à l’âge de Pierre, cette pierre sur lequel le Christ poursuit inlassablement la construction de son Eglise, cent pour cent sainte et à cent pour cent composée de pécheurs.

Evêques, prêtres, même les diacres, n’est-ce pas Bertrand ? (à Bertrand Georges, diacre concélébrant). Et Pape compris. Eh oui, nous sommes aussi pécheurs que vous, davantage que certains de vous. Même le pape l’a rappelé. Dans une de ses premières interviews, alors qu’on lui demandait qui est le pape François, le Saint Père a répondu d’un mot : un pécheur. Mais quelle consolation pour nous tous !

Nous n’avons pas changé depuis l’âge de Pierre, l’âge de Simon-Pierre. Et nous sommes nous aussi ces pierres sur lesquelles, malgré nos aspérités, nos rugosités, nos fragilités, nos fissures, nous sommes ces pierres sur lesquelles le Christ bâtit un Royaume.

Vous croyez que la vie d’un Chrétien est simple, aidée par Dieu, habitée tout entière par le Saint Esprit, que c’est un chemin de roses ? C’est Satan qui nous inspire cela, nous rappelle Jésus. Celui qui veut suivre le Christ, qu’il prenne d’abord cette croix que nous avons chacune et chacun, à notre manière, dans notre vie.

Toi l’ouvrier, prend ton travail pénible de tous les jours pour suivre le Christ, avant de rêver à ta retraite où tu pourras couler des jours heureux !

Toi le cadre supérieur, prend les incessantes responsabilités de ta fonction, les crachats de celles et ceux qui t’envient, prend tout cela avant de rêver de passer ta retraite dans ton joli chalet.

Toi la mère de famille, prend tes nuits écourtées à trois heures du matin par la petite dernière qui se réveille et qui a faim, avant de rêver à tes futurs petits-enfants…

Toi, l’étudiant, prend les plus durs de tes examens avant de rêver à ton diplôme.

Toi le cantonnier, prend la poussière de toutes les routes avant de rêver aux sentiers du paradis…

Toi, la personne handicapée ou malade, prends ton handicap, ou ta maladie, ou les deux, avant de rêver au corps glorieux que nous aurons toutes et tous à la Résurrection.

Toi le veuf, la veuve, prends ton chagrin avant de rêver aux retrouvailles célestes.

Toi le paroissien, fidèle de la messe du dimanche ou pas, prends le pauvre curé qui t’est envoyé, avec tous ses défauts, et ne rêve pas trop à un exceptionnel évêque de Sion venu d’Evolène.

Prends ta CROIX, mon ami. Profite des beautés de la vie, mais sache que les difficultés que tu rencontres sont une croix, et qu’il faut la prendre à pleines mains pour suivre Jésus.

Et toi, mon cher Simon-Pierre… Accepte que ton Messie soit crucifié devant toi, qu’il va te falloir même aller jusqu’à le renier. C’était cela, ta croix. Et toi aussi tu l’as assumée.

Qui aime le Christ le suive… avec sa croix.

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Evolène, dimanche 31 août 2014, 10.30