Théophile et le tiers-monde de la Foi

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Photo L.Cavignef : Célébration de l’Ascension sur la colline du Christ-Roi, Lens, 2014
   
 

Homélie pour la solennité de l’Ascension

Actes 1,1-11 / Psaume 46 / Ephésiens 1, 17-23 / Matthieu 28, 16-20

 

Cher Théophile…

 …y en a, parmi vous, aujourd’hui, non ?

Cher Théophile…. c’est ainsi que commence notre première lecture, et c’est d’ailleurs, vous l’avez entendu, le commencement, les tout premiers mots du livre des Actes des Apôtres.

Luc, auteur des Actes des Apôtres il faut parfois le rappeler, écrit à son ami Théophile. Qui est cet ami ? Ce peut être une personne ayant réellement existé, ce peut être aussi chacune et chacun de nous. Car Luc parle grec, et Théophile est un prénom grec qui a une signification toute particulière : Théophile veut dire, en grec « celle ou celui qui aime Dieu ».

Aimez-vous Dieu ? semble nous demander Luc. Alors ce texte est pour vous.

Il indique que dans son premier livre – l’Evangile selon saint Luc – il a raconté les faits et gestes de Jésus jusqu’à ce qu’il leur soit enlevé au ciel. Et ce deuxième livre – les Actes des Apôtres – commence par reprendre cet événement, l’Ascension.

Pour que Luc le raconte deux fois, il faut que cela soit essentiel. Et ça l’est.

Au fond, l’Ascension est la charnière entre l’Evangile et les Actes. La charnière entre le temps où Jésus est présent en chair et en os et celui où il est présent différemment, mais toujours là – c’est la prodigieuse finale de l’Evangile de Matthieu qui nous le rappelle, nous venons de l’entendre : « Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Oui la finale, car il s’agit de la toute dernière phrase de l’Evangile de Matthieu.

Nous avons donc deux témoins parmi les plus fiables, Luc et Matthieu, qui nous disent : c’est une étape, c’est la fin du ministère de Jésus sur notre terre.

Après c’est à nous d’agir jusqu’à ce qu’il revienne.

Agir, eh oui. Car voilà où se trouve le piège de l’Ascension. Nous pourrions très bien rester les yeux levés au ciel et attendre. Da’uatnt plus qu’on nous dit qu’il reviendra comme il est parti, il descendra du ciel. Regardez là-haut, scrutez le ciel, et si c’est pas un Grippen qui tombe, ce sera probablement Jésus ! On pourrait rester les yeux levés au ciel, mais ce n’est pas ce que nous demande Jésus. Il nous envoie en mission.

D’ailleurs, les quelques lignes précédentes dans l’évangile de Matthieu d’aujourd’hui le disaient bien : « Allez donc ! ALLEZ ! De toutes les nations faites des disciples ! »

Au fond, oui, comme aime à le dire mon confrère Jean-René Fracheboud, il nous faut toujours avoir les yeux regardant vers le ciel. Mais il nous faut aussi les deux pieds sur terre. Et une volonté d‘infini dans le coeur car notre mission est immense : c’est de toutes les nations dont nous devons faire des disciples.

Le pari a-t-il réussi ? Oui, bien sûr. Et ce n’est pas parce que le christianisme baisse dans notre Occident qu’il n’augmente pas ailleurs. Crise des vocations ? Il n’y a jamais eu autant de prêtres qu’aujourd’hui, et c’est en expansion continue.

Les Chrétiens diminuent ? Il n’y en a jamais eu autant qu’aujourd’hui, et ils sont en augmentation permanente. Ils étaient 12. Nous sommes plus de 2 milliards aujourd’hui.

Alors bien sûr, chez nous cela diminue. Et je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. Vous vivez de manière cruelle, ces temps, le départ annoncé de deux de vos prêtres qui ne seront remplacés que par un nouveau.

Mais cela augmente dans un grand nombre d’endroits, et globalement c’est en expansion. Les églises et les paroisses sont pleines en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud. Deux fois rien, ce sont juste les trois continents les plus peuplés. Rendons grâce pour cela, chers Amis !

Alors évidemment c’est plus facile de dire merci quand ça va bien chez nous

Au fond Dieu a beaucoup d’humour, vous savez… Jadis nous avons envoyés des missionnaires dans ces continents, c’est eux qui avaient besoin de nous. Aujourd’hui les missionnaires ce sont eux. Et le pays de mission c’est ici.

Eh oui, chers Amis, et ça il va nous falloir l’accepter, et ce ne sera pas facile. Le pays de mission, aujourd’hui, à l’échelle du monde chrétien, c’est l’Europe. C’est à nous, maintenant, de recevoir des prêtres africains, asiatiques, sud-américains. C’est à nous d’accepter leur manière de célébrer, de prier, de vivre leur foi. C’est à nous de nous laisser catéchiser par eux. A leur manière, même si ce n’est pas tout à fait la nôtre.

Je sais, ce n’est pas facile à entendre. Mais nous l’avons bien cherché, à force de ne plus donner de prêtres de chez nous à l’Eglise.

A l’époque des missionnaires à peau blanche, certains Africains ne voulaient pas entendre parler de notre foi chrétienne et se sont enfoncés dans leur obscurantisme superstitieux. Aujourd’hui, ferons-nous comme eux ? Nous enfoncerons-nous dans nos vieilles pratiques chrétiennes d’ici en refusant d’entendre ce que eux ont à nous dire ? Dirons-nous « Ah non, on a toujours fait comme ça, c’est un prêtre venu de je ne sais où qui va tout changer ! » ?

Sacré défi qui nous est lancé. Dieu a de l’humour… Et peut-être qu’un jour, la vapeur s’inversera à nouveau, allez savoir.

Alors quand j’entends des personnes – non pas ici – dire « oui, mais on ne les comprend pas bien nos prêtres africains, nos prêtres polonais, nos prêtres chinois. On aime mieux ceux de chez nous… » – Bon d’abord je me réjouis que vous ne disiez pas cela de mon accent genevois, vous pourriez aussi… –

Mais surtout je me demande… Que disaient-ils à l’époque, chez eux, de nos missionnaires blancs qui n’avaient pas le même accent, qu’ils ne comprenaient pas bien, qui n’avaient pas la même manière de vivre, qui n’avaient pas les mêmes coutume, la même manière de célébrer?

Ils nous ont ACCUEILLIS, cher Amis, pas toujours avec joie mais avec CONFIANCE. Et Dieu nous renvoie la balle aujourd’hui en nous disant : on l’a fait pour vous. Serez-vous moins bon ou meilleurs qu’eux ? Le ferez-vous pour eux ? Les accueillerez-vous chez vous mieux qu’ils ne nous ont accueillis chez eux ?

Voilà le défi de la mission d’aujourd’hui.

J’en avais parlé avec le père Gabriel Carron dans un studio de radio, juste avant qu’il ne reparte en Amérique du Sud et que deux semaines plus tard il ne quitte ce monde, lui aussi. Et il m’avait dit : « Vincent, tu as tout compris. Le pays de mission maintenant, c’est ici. Mais je ne suis pas sûr que les gens d’ici soient prêts à l’entendre et à le comprendre. Alors je prie pour que Dieu ouvre leur coeur. »

J’avais noté la phrase dans le studio, pour ne pas l’oublier, sans savoir que ce serait une de ces dernières. « Je prie pour que Dieu ouvre leur coeur ! » Magnifique, cher Gabriel !

Infatigablement il repartait pourtant, pour aider ceux qui en ont tant besoin là-bas. Nous leur avons transmis notre foi tellement bien qu’ils nous précèdent maintenant sur ce chemin.

Vous avez déjà vu une procession en Amérique du Sud ? Une fête-Dieu en Asie ? Une messe en Afrique ? C’est une FOI gigantesque qui s’y exprime. Nous sommes des GAMINS à côté d’eux, en ce qui concerne la Foi. Des gamins, chers Amis !

Là-bas on ne regarde pas sa montre en se disant que la messe dure un peu long aujourd’hui et qu’on a un gigot qui attend au four. D’abord là-bas on n’a pas de gigot qui attend au four, ça aide peut-être je ne sais pas. Mais là-bas, une messe ORDINAIRE ne dure jamais moins de deux heures, quand ce n’est pas trois. Parce qu’on ne se lasse pas de louer le Seigneur, parce que c’est la fête, le grand rendez-vous de toute une communauté.

Dans notre suffisance occidentale, quand on entend ça on se dit : « Pff, ils sont cinglés. » Et pas une seule seconde l’idée nous traverse l’esprit qu’éventuellement-à-la-rigueur-peut-être c’est nous qui sommes pauvres dans notre foi. Le tiers-monde de la foi, c’est chez nous, chers Amis.

Alors chers Amis, acceptons d’être un pays de mission, acceptons ce que le Christ élevé au ciel nous envoie. Il est avec nous jusqu’à la fin des temps. Et surtout, rendons grâce pour celles et ceux qui nous élèvent dans la foi. D’où qu’ils viennent.

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Lens, jeudi 29 mai 2014, 10 h. 00

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