Les foulards blancs du pardon

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> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT:

 

Homélie pour le 24e dimanche TO, année A

Siracide 27,30 – 28,7 / Psaume 102 / Romains 14,7-9 / Matthieu 18, 21-35

 

Chers Amis,

 

Quand vous lisez la Bible – si, vous savez, le livre qui prend la poussière chez vous, sur votre étagère… non, j’espère pas ! – quand vous lisez la Bible, un livre qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas, c’est l’un des rares objets dans ce cas… quand vous lisez la Bible en partant de l’Ancien Testament pour aller vers le Nouveau, vous trouvez une progression tout à fait fascinante concernant la non vengeance et le pardon.

Au départ, dans les toutes premières pages, dans les toutes premières histoires de la Bible, si on vous fait mal à vous ou à l’un des vôtres, c’est le carnage absolu. Aucune mesure. « Vous avez tué un des miens ? Eh bien on va aller en tuer dix chez vous ! » Et c’est l’escalade bien sûr, parce qu’en riposte on en tue cent, et puis mille, et puis dix-mille…

Peu à peu, dans les livres suivants, il y a un progrès faramineux : la Loi du Talion. On l’appelle aussi « Œil pour œil, dent pour dent ».

« On a tué un des tiens ? Eh bien tu vas aller en tuer un chez les autres. Non pas dix, mais un. Comme on a fait chez toi. Œil pour Œil, dent pour dent. » C’est un progrès considérable ! Mais enfin, c’est quand même encore très violent.

C’est dommage qu’aujourd’hui encore certains en soient restés là. « On me fait mal ? Je rends ! » C’est dommage. Et combien de guerres ont commencé par un « œil pour œil, dent pour dent » ?

La Bible va beaucoup plus loin. Nos grands frères, nos grandes sœurs de la religion juive sont allés beaucoup plus loin. Ils vont fêter leur Grand Pardon – Kippour – dans quelques semaines, d’ailleurs.

Et la Bible va plus loin avec eux, avec des écrits de sagesse comme notre première lecture de ce soir, le livre de Ben Sirac le Sage qui nous disait que la vengeance est une chose terrible, parce qu’elle engendre la vengeance – et même la vengeance de Dieu – sur celui qui se venge.

Alors que de pardonner à notre ennemi, au contraire, entraîne le pardon de Dieu sur nous.

Les écrits de sagesse de la Bible continuent d’ailleurs jusqu’à la magnifique règle d’argent. Je l’appelle « la règle d’argent » par infériorité à la « règle d’or », j’y reviendrai dans un instant.

La règle d’argent que l’on trouve dans l’Ancien Testament, au livre de Tobie, dit : « Ne fais pas à l’autre ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à toi !». Formidable progrès !

On la trouve d’ailleurs, vous le savez sûrement, dans quasiment toutes les religions. Elle est dans le Coran, elle est dans la Baghavâd Gita, elle est dans les sagesses amérindiennes, dans les sagesses de l’Afrique aussi. …

« Ne fais pas à l’autre ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. » C’est évidemment un immense progrès par rapport à la loi du Talion – « Œil pour œil, dent pour dent » – mais c’est encore un peu facile.

« Ne fais pas à l’autre ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. » En gros, ne fais rien et tout ira bien. « Ne fais rien pour ton prochain, reste chez toi, et les moutons seront bien gardés… » Mais le monde n’ira pas mieux !

Poursuivez votre lecture de la Bible, allez quelques centaines de pages plus loin dans le Nouveau Testament. Cette dernière partie de nos Bibles commence par les Evangiles, comme celui de Matthieu que nous lisions ce soir.

Et Jésus, dans les Evangiles, va retourner la règle d’argent, pour en faire la règle d’or. Il change la phrase, il la met en positif : « Fais à l’autre ce que tu voudrais qu’il te fasse ! »

Et ça, ça n’existe que dans la religion chrétienne. « Fais à l’autre ce que tu voudrais qu’il fasse pour toi ! »

Alors ça change tout, évidemment ! On ne peut pas rester chez soi en disant : « Moi je ne fais rien, je ne fais de mal à personne ! » Non ! Jésus nous dit : « Sois proactif ! Fais à l’autre ce que tu voudrais qu’il fasse pour toi ! »

Et si vous continuez encore un peu la lecture de vos Bibles, vous arrivez dans les lettres du Nouveau Testament. Et jusqu’à la lettre de Jacques qui va encore un cran plus loin…

Jacques qui dit : « Si tu sais faire le bien et que tu ne le fais pas, tu te charges d’une faute. »

Non seulement il s’agit de faire le bien, mais il s’agit d’avoir conscience de nos talents, de ce que Dieu a mis en nous pour faire le bien, et d’utiliser cela.

Et c’est la même chose dans le pardon. Tout ce que je viens de vous dire là se retrouve dans l’Evangile de ce soir.

Les rabbins, à l’époque de Jésus, étaient déjà arrivés à des sommets de pardon, par rapport à l’Ancien Testament. Ils suggéraient de pardonner jusqu’à quatre fois à la personne qui nous a fait du mal. A l’époque de Jésus, c’était le message des rabbins.

La loi du Talion est loin derrière.

Mais Pierre, toujours avide de fortes impressions et de mise en avant, croit aller beaucoup plus loin que les Rabbins. Il demande à Jésus s’il doit aller jusqu’à pardonner sept fois à celui qui lui a fait du mal… persuadé que son maître va le féliciter d’être allé aussi loin que cela.

Et vous connaissez la réponse, on vient de la ré-entendre. La réponse écrase Pierre jusqu’à terre, et nous avec : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, dit Jésus, mais jusqu’à 70 fois 7 fois ! »

–      Mais Seigneur, c’est impossible !

–      C’est pas impossible, non.

70 fois 7 fois, c’est presque jusqu’à l’infini. Je dis bien « presque » parce qu’on entend et on lit parfois quelques bêtises sur la symbolique de ce 70 x 7. Dans les Bibles, tous les chiffres, tous les nombres sont symboliques.

Il ne s’agit pas de pardonner à l’infini, ce n’est pas la plénitude qu’indique le 7 biblique, c’est la multitude… c’est autre chose.

Et il est multiplié, ce sept, par lui-même et par dix, et non pas par douze. Douze signifierait la totalité. Dix, pas tout à fait, c’est la multitude, là aussi.

Jésus suggère à Pierre de pardonner une multitude de fois, mais pas jusqu’à l’infini. Celui qui pardonne à l’infini, c’est Dieu. Nous ne pouvons pas l’imiter totalement. Heureusement, d’ailleurs !

Jésus ne nous demande pas d’atteindre la perfection de son Père. Il nous demande de tendre vers un idéal. De pardonner une multitude de fois.

Cela vous semble impossible ?

Eh bien pour vous prouver que ce n’est pas impossible, je termine avec cette anecdote que vous connaissez peut-être, cette anecdote qui nous montre à quel point même l’être humain peut pardonner non seulement sept fois mais des centaines et des centaines de fois…

C’est l’histoire d’un jeune adolescent qui débarque un soir dans l’une de ces associations qui s’occupe de relever les paumés, les drogués, les cabossés de la vie. Il n’a pas envie de parler ce soir-là. Alors on lui offre le gîte et le couvert. Puis il s’endort.

Mais le lendemain, l’éducateur présent sur les lieux l’interroge. Et il découvre que le jeune a fugué de chez lui pour une bête dispute avec ses parents, qu’il a fauché la belle voiture paternelle, et qu’il l’a emplafonnée dans un arbre. Et la voiture est complètement détruite. Et le jeune ado n’a pas osé rentrer chez lui de peur que ses parents ne veuillent plus l’accueillir.

L’éducateur est très ferme : « Tu te rends compte ce que peuvent penser tes parents ? La police a dû trouver la voiture, tes parents te croient certainement mort ! Il faut les rassurer ! »

Mais le jeune est mort, lui, mais de trouille ! Il n’ose pas ! Alors L’éducateur lui propose de jouer les intermédiaires.

Et il prévient les parents, qui sont immensément soulagés, bien sûr ! Les parents promettent que jamais, jamais ils ne jugeront leur fils pour cela. La vie de celui-ci est tellement plus précieuse ! Bien sûr qu’ils vont lui pardonner !

Et l’éducateur définit un signe pour que le jeune puisse voir, de ses yeux, que ses parents lui pardonnent. Et ce signe, c’est d’accrocher un foulard blanc dans un arbre du jardin, visible depuis la rue, pour que le jeune puisse revenir chez lui.

Le jeune prend encore le repas de midi, et puis l’après-midi il part en voiture avec l’éducateur et ils arrivent devant la grille du jardin.

Et il se cache les yeux, parce que là encore il a peur. Et il lui dit : « Regarde toi, regarde ! Est-ce qu’il y a un foulard blanc dans un arbre ? »

Et il y a un grand silence.  Et l’éducateur lui dit : « Non. Il n’y en a pas un. Il y en a des centaines. »

Les parents avaient déchiré tout ce que la maison comptait de draps, de foulards, jusqu’au moindre torchon pour accrocher à toutes les branches de tous les arbres du jardin des centaines de foulards blancs.

Je crois que c’est comme cela que notre Dieu pardonne celui qui revient vers lui.

Et je crois que c’est aussi ce qu’il nous invite à faire lorsqu’il nous invite à pardonner une multitude de fois.

Et si ces parents-là ont réussi à le faire, c’est que c’est à mesure humaine, forcément.

Je nous invite donc, Chers Amis, à pardonner cette semaine, pourquoi pas, à la personne avec laquelle nous sommes encore en délicatesse, et à accrocher des foulards blancs dans les arbres de nos cœurs.

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Les Diablerets, samedi 12 septembre 2020, 18.00

et dans une version plus courte :

Aigle, dimanche 13 septembre 2020, 10.00

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  1. Nicole Ch.

    Merci, cher Vincent, de nous avoir offert cette magnifique homélie ce dernier dimanche, écoutée seulement aujourd’hui. Oui, tendre de toutes nos forces à faire ce que Jésus nous enseigne ! Il nous aide.
    J’ai lu un livre il y a longtemps: Le pardon, Puissance de Libération. Parvenir à pardonner vraiment, profondément et authentiquement libère. Et les foulards blancs de notre arbre intérieur dansent dans le vent de l’Esprit !

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