Marie reine d’humanité

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Homélie pour la solennité de l’Assomption

Ap 11,19a;12,1-6a.10ab / Ps 44(45) /1Co 15,20-27a / Lc 1,39-56

Chers Amis,

J’aimerais que vous leviez les yeux quelques instants et que vous contempliez l’image de Marie de l’Assomption…

Un de ces tableaux éthérés, où Marie en robe blanche et bleue, la tête légèrement inclinée, les mains sagement jointes, est couronnée d’étoiles. Un instant on imagine ces gadgets de Lourdes où Marie est couronnée d’étoiles qui clignotent… quand elle n’est pas sous un petit globe qui fait neiger quand on le retourne…

Marie, la première d’entre vous, Mesdames, la meilleure, à n’en point douter, la seule, la SEULE que Dieu a choisi pour mettre Jésus au monde, c’est dire si les autres n’ont pas trouvé grâce à ses yeux. Marie, dont on fait des statues, des chapelets phosphorescents en plastique, des images pieuses toutes plus kitsch les unes que les autres. Marie que l’on va jusqu’à représenter BLONDE !

Blonde ! Si le Seigneur avait choisi une Blonde pour faire naître son Fils, ça se saurait ! Et puis avec tous les gags qu’on fait sur les blondes, la pauvre…

Blonde à la peau blanche, en plus, en général !

Non mais stop, stoooop ! Rouvrez les yeux, réveillez-vous ! Elle doit s’étrangler, là-haut, à force de voir à quel point on la dénature et à quel point on la déifie !

Vous l’imaginez vraiment telle qu’elle a dû être, deux secondes ? Une femme de Palestine, aux cheveux noirs, à la peau tannée, les joues plutôt terreuses que roses à force d’arpenter le désert, les mains plutôt usées et rugueuses que douces et fines comme sur les tableaux de la renaissance.

Eh, réveillez-vous ! Marie, c’est une femme de Palestine. Une femme. Comme vous, Mesdames. Une mère, qui plus est. Avec les mêmes soucis, les mêmes angoisses, les mêmes joies, les mêmes colères. Il a été ado, Jésus, faut pas l’oublier. On ne sait rien de cette période, sinon qu’à douze ans il avait déjà fugué une fois, c’est dire ! Elle a dû en voir de toutes les couleurs, Marie, avec lui!

Si on la voyait un peu plus humaine qu’on ne veut bien nous la dépeindre ?

Voilà une femme qui a hurlé, chanté, dansé, mangé, fêté, dormi… On dit même qu’elle est allée aux toilettes ! Et plusieurs fois dans sa vie encore ! Si, si, je vous assure ! Même si ce n’est pas marqué dans la Bible, hein ! Elle a été pleinement l’une d’entre nous. Humaine. Merveilleusement, désespérément, incroyablement humaine.

Son Magnificat, que nous venons de réentendre dans l’évangile d’aujourd’hui, vous croyez qu’elle l’a prononcé assise, une main sur le cœur, l’autre sur un livre qu’elle tient en équilibre sur ses genoux alors qu’une colombe s’envole dans le ciel voisin, le tout avec une petite voix fluette et douce, tendre, pas trop forte parce qu’il y a le corset, quand même, on peut pas hurler avec ces habits-là ?

Ho, ho, HO ! On se calme ! J’aime beaucoup Fra Angelico, mais quand on regarde un tableau faut faire gaffe à pas se laisser complètement avoir, aussi, hein !

Son Magnificat elle l’a prononcée essouflée, après une marche dans le désert, le cœur inondé par la joie de revoir sa cousine, mais les entrailles lourdes de cet enfant qu’elle porte. C’est le « Magnificat » d’une femme épuisée et qui laisse transparaître une joie immense.

L’autre jour, après 1200 mètres de montée, 5 heures de marche, en arrivant à la cabane où j’allais passer la nuit à près de 3000 mètres d’altitude, j’ai posé le pied sur la dernière marche de l’escalier qui menait à la terrasse, j’ai regardé la montagne devant moi et dans un souffle j’ai dit « Magnifique ! ». Eh bien je pense avoir été plus proche du Magnificat de Marie que la mélodie baroque des vêpres de Monteverdi, vous voyez. Même si j’aime beaucoup les vêpres de Monteverdi, c’est une splendeur absolue, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !

Marie, chers Amis, il faut la voir comme une PERSONNE, pas comme la déesse qu’elle n’est pas.

L’une d’entre nous. L’une d’entre vous, Mesdames. Mère juive, avec ses incroyables élans, ses emportements probablement homériques, son amour infini pour son fils.

Marthe Villalonga, tiens, pour ceux qui connaissent le théâtre ou le cinéma ! Marthe Villalonga avait exactement ce type-là. J’aimerais qu’une femme comme ça interprète Marie, un jour, au cinéma ou au théâtre. Parce que Marie ce n’est pas d’abord une voix douce et une musique angélique qui va avec, c’est d’abord la rudesse du climat de la Palestine, la chaleur du désert, l’émerveillement d’une jeune fille devant ce Dieu qui l’a choisie.

Et puis… j’aimerais l’entendre rire, Marie… Elle devait avoir le rire clair des jeunes femmes du désert, un rire qui coule comme de l’eau qui jaillit sur les rochers arides et secs de ces coins-là. Si je l’entendais, ce rire, comme le Petit Prince j’aurais l’impression que toutes les étoiles rient en même temps.

Alors oui, il y a cette Femme extraordinaire, couronnée d’étoiles – tiens on retrouve les étoiles – la lune sous ses pas, cette Femme de l’Apocalypse qu’on a, nous les catholiques, peut-être un peu vite assimilée à Marie alors que c’est plus probablement une personnification de l’Eglise.

Alors oui, il y a ces cardinaux bien pensants qui ont écrit des choses très savantes au sujet de son immaculée conception et de son assomption que nous fêtons aujourd’hui. Des pages et des pages ont été rédigées pour expliquer ces dogmes inexplicables. Pour déflorer ces mystères qui doivent rester vierges. Et ce n’est pas qu’un jeu de mots facile. Il y a des mystères qu’il faut avoir l’humilité de ne pas tenter d’expliquer, faudrait que l’Eglise en prenne conscience une fois, tout de même…

Alors oui, il y a la Marie élevée si haut qu’on vous l’a volée, qu’on l’a dérobée au peuple de Dieu pour la hisser sur un trône qu’elle n’a jamais demandé ni voulu. Trône que dans son humilité elle ne doit pas beaucoup aimer, d’ailleurs…

Mais non, ce n’est pas ainsi que je vois Marie.

Marie c’est une femme. Simplement. Une humaine, simplement. Une personne à qui il arrive un truc incroyable. Comme bien des gens restés anonymes, d’ailleurs. Marie c’est l’une d’entre nous. Si nous la fêtons, ce n’est pas pour célébrer celle qui a vécu ce que jamais nous ne pourrons vivre, mais au contraire c’est pour nous réjouir que l’une d’entre nous ait été la première à vivre ce que nous sommes toutes et tous appelés à vivre.

Marie, première de l’immense foule des ressuscités. Marie première de cordée ! Marie qui arrive à la cabane du ciel, qui pose le pied sur la lune comme dernière marche de son ascension, et qui s’écrie dans un souffle : « Magnifique » ! Et qui nous dit, « Si vous saviez comme c’est beau ce qui vous attend ! ». Marie et son assomption. Tellement proche de nous. Parce qu’elle a passé ce que nous sommes appelés à traverser : la porte du ciel, la résurrection vers une vie éternelle, joyeusement blottis dans les bras de Dieu.

Alors, non, pour moi Marie ce n’est pas ce tableau de type renaissance qu’on a tous dans la tête, ou cette statue immuable de Lourdes – j’aime bien Lourdes, soyons d’accord !

Fermez les yeux un instant et imaginez

Marie, ses grands yeux noirs ridés par les larmes, les joies, le vent du désert et les grains de sable qui s’y infiltrent jour après jour…

Marie, à la peau sombre, au grand sourire des gens de là-bas, chantant quelque mélodie juive en dansant au village, les soirs de fête…

Marie, au rire enchanteur qui éclate en mille notes aux échos de Palestine…

Marie, avec une simple tunique qui fut un jour blanche, sûrement, mais qui a plutôt l’ocre des terres qu’elle traverse au long des chemins…

Marie aux long cheveux d’ébène, sûrement tressés ou rassemblés en natte. Peut-être avec une simple broche, sans faste, un bijou de villageoise…

Marie, reine… oui… mais reine d’humanité.

Les Giettes (Patronale), 15 août 2012 ; Collombey, 15 août 2012

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