Vous les Anciens : vous êtes beaux et dignes !

Photo libre de droits : piqsels

 

Homélie pour le 3e dimanche Carême B

Exode 20,1-17 / Psaume 18b / 1Co 1,22-25 / Jean 2,13-25

 

> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :

 

Chers Amis,

 

Je suis très inquiet par une petite musique que j’entends de plus en plus régulièrement autour de moi, à la télévision, dans les rues, mêmes dans les cours de récréation. Un petit refrain qui se décline, suivant les moments et, en gros, qui dit : « c’est très injuste de sacrifier la vie normale de nos jeunes pour protéger des vieux qui de toutes façons vont mourir, que ce soit du Corona ou d’autre chose ».

Cette petite musique qui tendrait à dire que, finalement… finalement les vieux n’ont qu’à mourir et qu’on devrait arrêter tout ce cirque pour permettre aux jeunes de vivre normalement.

Cette petite musique m’inquiète énormément, ça me donne envie de vomir.

Parce que chaque être humain est drapé de la même dignité. Qu’on soit jeune ou vieux, qu’on soit blanc ou noir, qu’on soit homme ou femme.

En Afrique, on dit volontiers qu’un ancien qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle.

Je trouve ça très beau. C’est une façon d’honorer encore un peu plus nos anciens. Il ont non seulement la même dignité qu’un homme de mon âge, qu’un adolescent, qu’un bébé qui vient de naître, mais en plus ils ont accumulé beaucoup plus de connaissances au fil des années.

A dignité égale, nos anciens ont donc droit à davantage de respect de par le savoir accumulé, leur sagesse, leur regard sur la vie.

On devrait les écouter plutôt que de les parquer dans des EMS. On devrait les aider, les héberger en famille, plutôt que de s’en débarrasser dans des mouroirs où on laisse le soin à d’autres de s’en occuper, c’est tellement plus pratique.

Et oui, évidemment, heureusement, ce sont eux qu’il faut vacciner en premier, protéger en premier de ce satané virus. Au moins nos autorités, elles, ont compris cela. Elles n’ont pas cédé à ce jeunisme ambiant qui voudrait qu’un être humain dans la force de l’âge ait plus de valeur qu’un ancien.

Et quand j’entends Jésus, dans l’Evangile de tout à l’heure, nous dire : « Ne faites pas de la maison de mon père une maison de trafic, ou de commerce », quand je le vois fabriquer un fouet pour chasser ceux qui font du commerce dans la maison de son Père, j’essaie de transposer.

La maison de nos pères, la maison de nos parents, qu’est-ce que nous en faisons ? Est-ce qu’on la vend pour payer l’EMS, comme je le vois dans de nombreuses familles, parce qu’on ne peut pas faire autrement ? Mais n’est-ce pas là une manière de faire du commerce avec la maison de notre père ?

Ou est-ce que la maison familiale demeure le lieu de nos rencontres, le lieu où l’on vient honorer la mémoire de nos parents, de nos anciens, voire même où l’on vient habiter avec eux quelques temps, le temps qu’il faut pour les aider au soir de leur vie, et éviter qu’ils ne doivent déménager ? Je crois que c’est cela, aussi, honorer la maison de nos pères.

A travers son propre Père et sa maison, Jésus nous enseigne, je crois, à honorer non seulement celui qu’on appelle « Notre Père » (et sa maison) mais également nos parents terrestres et leur propre maison. Nos parents à qui nous devons le respect. Et au-delà de nos parents, tous nos anciens.

Bien sûr cela semble folie pour le monde qui préfère mettre en avant la jeunesse jusque sur les couvertures des magazines, la beauté, les canons de la mode, tout ça…

Bonne nouvelle, Chers Amis, Paul le rappelait dans notre deuxième lecture : ce qui semble folie pour le monde est sagesse aux yeux de Dieu.

Une peau ridée c’est magnifique !

Laissez-moi vous le redire : une peau usée par le temps, c’est magnifique ! Ce sont ces visages-là qu’on devrait mettre en avant sur les couvertures de nos magazines… Des cheveux blancs, c’est splendide ! Des mains tordues à force de travail, d’aide, de soins, ces mains disent tout ce que cette personne a réalisé dans sa vie et elles sont belles, ces mains-là. Une démarche boiteuse, vacillante, qu’on aide avec une canne ou deux, cela dit tous les kilomètres que cette personne a marché dans sa vie à la rencontre des autres. Elles sont belles, ces démarches boiteuses.

Nos anciens sont BEAUX. Ils sont beaux et il faut le leur redire ! Ils sont infiniment respectables.

Et voyez-vous, c’est aussi ce que nous rappelait notre première lecture. Les dix paroles, le décalogue, ces fameux dix commandements qu’on a appris par cœur au catéchisme… Alors bien sûr on les sait encore plus-ou-moins, on en oublie toujours un ou deux mais on peut les réciter : tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas… mais on oublie toujours un détail quand on essaie de les réciter.

Même si on les a les dix, et même si on les a les dix dans l’ordre, on oublie toujours un détail…

Un seul parmi les dix est assorti d’une promesse de la part de Dieu… « Si tu fais cela, voilà ce qui t’arriveras… » Un seul des dix commandements est suivi d’une sorte de promesse, de récompense.

…Savez-vous lequel ?

…Et savez-vous quelle est cette promesse que Dieu fait à celles et ceux qui respectent ce commandement ?

Eh bien c’est précisément « Honore ton Père et ta Mère » PARCE QU’ALORS, dit le texte, « tu auras une longue vie sur la terre ». C’est le seul des dix commandements qui est assorti d’une suite. « Honore ton père et ta mère parce qu’alors tu auras de longs jours sur la terre… »

Plusieurs d’entre vous ont eu la même chance que moi, celle d’avoir des parents merveilleux.

Mais d’autres n’ont pas eu notre chance. Pour d’autres personnes qui ont été violentés, abusés par des parents, entendre « honore ton père et ta mère », ce n’est pas facile. Je peux concevoir que cela soit même très difficile pour certains. Mais ces mots peuvent être également pris au sens plus large.

« Honore ton père et ta mère », ça veut dire : « Honore tous ceux qui t’ont précédé, honore les anciens, honore celles et ceux qui sont jeunes depuis plus longtemps que les autres » comme j’aime à le dire.

Honore cette dame âgée que tu croises sur le trottoir. En commençant par ne pas faire un pas d’écart ou un geste de méfiance ou d’éloignement, ça blesse, ça ! Garder les distances et les gestes barrière, bien sûr, mais ne pas tomber dans la méfiance de l’autre, dans la psychose, ne pas s’écarter quand on croise quelqu’un sur le trottoir. Ça blesse. Beaucoup plus qu’on ne peut le croire.

Il y a mille manières d’honorer nos pères et mères, nos anciens, d’honorer celles et ceux que la société rejette de plus en plus. Il y a mille manière de faire, et cela peut être un bel effort de Carême.

Et si Dieu a assorti ce commandement d’une promesse, c’est aussi sa manière à lui de nous dire qu’en honorant nos anciens, on prolonge notre vie parce qu’on donne davantage de valeur à nos actes, parce qu’il n’y a pas de plus grand bonheur que d’aider celles et ceux qui en ont besoin plutôt que de décréter qu’ils n’ont qu’à mourir, du CoVid ou d’autre chose, discrètement si possible et surtout pas chez moi.

Alors permettez, pour finir, que je le redise à tous les anciens qui sont ici ce matin, toutes celles et tous ceux qui sont jeunes depuis plus longtemps que les autres, parmi vous : vous êtes infiniment respectables, vous êtes tout autant notre avenir que nos jeunes, parce que nous avons besoin de votre sagesse, de votre expérience, de votre regard.

Et vous êtes beaux. Et vous êtes belles. Ne laissez jamais personne vous dire ou vous faire croire le contraire !

___________________________________________

Aigle, dimanche 7 mars 2021, 10.00